Pendant un moment, Silence regarde dans le vide. Il ne pense si à Lacrimosa, ni à King, ni même au fait que tout en censé bien aller et se contente juste d’être… là. D’exister. No thoughts, head empty.

Puis tout à coup, une apparition bleu et orange - Silence manque de s’étouffer en reconnaissant l’Empereur des Vigilantes, qu’il n’a pas vu depuis des mois. Il se rappelle de façon très claire l’avoir assommé. Il se rappelle aussi que Power lui a donné un poisson mort. Silence secoue la tête en se demandant si son verre de whisky ne lui est pas monté trop vite à la tête mais quand l’Empereur ne disparait pas et qu’au contraire, il fait signe qu’il va se taire avant d’aller se placer auprès de Gamin Chelou - qui n’a pas sa hache, ce qui est rassurant -, alors il devient difficile de croire à la théorie de l’hallucination. Bon, de toute façon, depuis sa rencontre avec Strife, Silence fait attention avec ces histoires de visions-qui-n’en-sont pas.

En parlant de Strife d’ailleurs. L’attention du Trapper se détourne du cône de signalisation bleu et orange pour se fixer sur la mariée déjà près de l’autel, flanquée de December, de son rideau et d’Érinye. Silence penche un peu la tête, parce que la Wild a l’air nerveuse et que c’est bien la première fois qu’il la voit sans son air blasé. Bravo Flesh, bravo, tu as réussi ce que personne sur terre n’aurait pensé possible. Tu mérites ton titre de championne.
Il continue à observer Strife qui tout à coup le regarde droit dans les yeux avant de lui montrer son bouquet d’un air entendu. Silence cligne des yeux. Eh bah quoi? Elle veut qu’il les bouffe ses fleurs? Ou elle le prend pour un jardinier? Parce que, désolé de te décevoir Strife, mais lui n’y connait rien en bouquet.

L’instant de confusion est cependant vite oublié lorsque la deuxième mariée s’avance accompagnée d’Hysteria. Alors qu’elle passe près du banc où il est assis, Silence a un moment de lucidité - dans leur monde de violence, la vie ne s’arrête pas aux Hunting Sports, aux alliances et à la victoire. Les liens se développent, se tissent parfois de façon si serrée qu’aujourd’hui, amis et ennemis sont réunis (bon gré mal gré, mais réunis quand même) pour célébrer quelque chose de si trivial qu’il en est extraordinaire pour eux. Pendant un petit moment, tout va réellement bien, au moins pour les deux personnes qui se dévisagent devant l’autel. Cette constatation, aussi absurde qu’étrangement apaisante, lui fait presque tourner la tête.
Pour la première fois de la soirée, tout va réellement bien. Et même si dans quelques minutes, le vide reviendra, Silence préfère en profiter.

La cérémonie commence, December en toge fait son discours d’un air sérieux. Si sérieux, si sérieux. Jusqu’à ce qu’il invoque la Saint Tractopelle, avec un tel naturel que Silence n’a que le temps d’étouffer un rire surpris, histoire de rester poli quand même. Il se reprend rapidement, mais la stupidité de la chose prolonge encore un peu ce moment de calme et il en est presque reconnaissant à Cupidon. Presque, faut pas abuser.

Les mariées se disent oui et Silence observe alors que la sensation douce qui l’avait envahi se dissipe tranquillement. Bientôt il devra de nouveau se convaincre que tout va bien. Bientôt il décidera s’il prend son courage à deux mains et qu’il retourne voir Lacrimosa, qu’il a lâchement laissé au bar, ou s’il s’en remet à l’alcool pour l’aider à feindre le calme.
Mais pour le moment, son attention est sur Strife et Flesh parce que c’est leur moment, celui où, pendant quelques heures, elles ont le droit d’être heureuses pour tous ceux qui ne le sont pas.

Le moment de grâce ne dure que le temps de la cérémonie, puis l’apathie revient. C’est une amie, mais une amie toxique, qui lui souffle d’oublier, de faire comme si, au risque de voir la vague de vérité et de réalisation le percuter de plein fouet une fois qu’il sera seul face à la réalité.
Mais Silence l’accueille, cette amie, il lui tend les bras parce que c’est plus simple pour le moment, que ça lui donne la force de regarder autour de lui sans paniquer, de réfléchir sans se perdre et de se lever sans s’écrouler.

Une fois que December a terminé son discours, que le Saint Tractopelle s’en est allé vers d’autres mariages et que les invités commencent à se lever, Silence se laisse un moment pour absorber les dernières miettes du bonheur ambiant. Même si Strife lui donne d’habitude envie de se tirer les cheveux et qu’il a vu Flesh tirer une balle dans la cuisse d’Érinye il y a deux mois, il est… peut-être pas heureux, mais presque apaisé de voir qu’elles ont trouvé une troisième voie entre la violence et l’inertie qu’impose leur vie sur l’île. C’est la preuve que ce soir, tout va bien.

Les mots résonnent dans son esprit alors que la sensation de vide se réinstalle gentiment et que les gens s’éparpillent pour aller voir les mariées, boire ou danser, pour vivre la fête tant qu’ils le peuvent encore.
Silence fixe ses mains, posées tranquillement sur ses genoux, paumes vers le ciel. Que faire maintenant? Que faire pour se prouver que la situation est normale, que rien n’a changé, ni ici, ni à la pyramide, si ce n’est que deux personnes viennent de lier leurs vies malgré les différences?

Commence par la politesse basique Silence. En voilà une bonne idée. À Rome, faisons comme les Romains (sans aller jusqu’à imiter December et adopter le look qui va avec): il se met debout et d’un pas lent mais fluide se dirige vers les mariées, jette un regard morne au bouquet de Strife dont il ne comprend toujours pas la fonction que la Wild voulait lui signifier, et les félicite. L’interaction dure quelques secondes à peine, Silence ne s’attarde pas. Il veut juste sortir d’ici, les mouvements de la foule lui donne envie de s’en éloigner alors c’est ce qu’il fait. En passant, il voit des visages connus sans vraiment y faire attention, jusqu’à ce qu’un trio attire son attention: Érinye, Crystal et Hysteria.

Il les regarde une demi-seconde, à peine de quoi réellement avoir le temps de comprendre les pensées qui lui traversent l’esprit, puis ses yeux se détourne et il s’éloigne vers la liberté.