Je vendrais mon âme pour une putain de cigarette maintenant. Je vendrais la moitié du monde connu pour quelques bouffées de tabac. Je te céderais sûrement toi pour un paquet de petits soldats de la mort. Les temps sont durs et peut-être que j’y serai réduit dans quelque temps. Mais tu vaux bien plus que ça, mon petit dragon. Je ferais de grandes choses de ton feu, jusqu’à ce que tu t’y consumes complètement. Mais je n’ai plus de cendres avec moi, seulement des restes alors…



Voilà ce que je lui crie. Chargé de toute la frustration du manque et de la douleur de mes souvenirs. De quoi rendre ça plutôt convaincant. Du moins, je sonne juste à mes propres oreilles.



J’aurais surtout fait en sorte que ta mort soit définitive mais c’est un détail qu’il n’est pas utile de prononcer ici à voix haute. La vérité est un sel bien trop amer. Tout le monde n’est pas prêt à en affronter le goût. Et surtout, elle ne sert que peu souvent les fables et les histoires. Je ne suis que ça au final, un humble compteur. Je cherche ton regard comme un drogué en manque. Une vérité sur ce que je suis. Un drogué qui noie la perte de son humanité dans encore et toujours plus de sang. Nous sommes là tous pathétiques, mon pauvre dragon. Alors à défaut d’être noble et glorieux, racontons-nous une belle histoire. C’est bien tout ce que je peux t’offrir : du vent.

Je me relève et marche vers lui. Quelques pas, d’un rythme lent, encore secoué par le choc électrique et la strangulation. Je tends alors une main dans ta direction que je ramène doucement le long de mon corps. Mes yeux de faucon n’ont pas quitté les tiens. Un prédateur ne lâche jamais sa proie. Je t’adresse un demi-sourire. Plein d’amertume et de douceur. Un sourire rempli de promesse, un sourire de ce qui aurait pu être mais qui ne sera jamais. Un sourire de ce qui pourra être un jour peut-être : une incarnation d’un changement, de folie très certainement. D’une folie chargée de l’acide des âmes qu’on nomme l’espoir.



C’est tout ce qu’il faut, après tout. Trois mots, trois simples petits mot. Trois petites aiguilles qui font infiltrer l’acide de l’espérance profondément. Il ne me restera plus qu’à le regarder se faire dévorer de l’intérieur. Tu es à moi petit dragon. Je suis celui qui prend le contrôle et je verserais ton sang par litre. Je fais encore un pas, un dernier dans sa direction. Un tout dernier. Un pas qui ne devrait pas rester sans réponse, du moins je l’espère. Du toute façon, si nous mourrons tous les deux ici, nous aurons bien vécu après tout ? N’est ce pas-là un drame tragique qui divertirait parfaitement cette salope d’IA ? Plus jamais ! Plus jamais !

Pourtant, tu as fait ces pas vers moi. Tu choisis et tu m’as offert ta tête. Pauvre petit. Je te laisse faire alors, je sais où tu veux en venir. Je dirais même plus que je t’accompagne même. Quand ses mains se pose sur ma tête et ses lèvres sur les miennes je trouve le chemin de son dos et de ses cheveux. Lui rendant le baiser qu’il me donne. Aussi longtemps que le courant électrique nous le rend supportable. J’y retrouve là une certaine familiarité. Des vieilles habitudes qui retrouvent doucement leur usage. Un sentiment de nostalgie s’empare presque de moi. Si ce n’est cette douleur qui se fait de plus en plus omniprésente, le moment aurait presque pu être agréable. Presque… Pourtant...

Deux choses me traversent l’esprit : lui demander de courir, de fuir, d’arrêter d’être aussi naïf. La deuxième c’est pourquoi ? Vraiment, je n’arrive pas à comprendre le besoin que je peux représenter pour lui. Oh, j’en vois parfaitement les fils et les effets. Je tire dessus avec virtuosité mais… pourquoi ? Pourquoi bordel de merde, me donnes-tu le contrôle comme ça ? Pourquoi est-ce que tu t’oublies aussi facilement auprès de moi. Alors que tu sais comment tout ça va finir : par ta mort et ta haine. Tu le sens car tu l’as déjà vécu. Tout n’est qu’un éternel recommencement. Sauf que cette fois, tu n’auras pas de deuxième chance. Tes flammes feront du monde un désert de cendres. Les incendies que tu allumeras ne seront seulement éteints par les rivières de sang que nous ferons couler. Avant que ton cadavre ne vienne simplement s’ajouter à la montagne qu’il me faut emprunter vers le sommet.


Je laisse quelques secondes, le temps aussi de reprendre mon souffle. De laisser l’engourdissement du courant électrique se dissiper. Je lui adresse alors un sourire chargé des émotions contraires qui m’habitent alors. C’est dans la creusé de la vérité qu’on forge les meilleurs mensonges. Il y verra sûrement mon doute et mon incompréhension. Tout en y trouvant une bonne dose d’espoir et de contentement, après tout, je suis arrivé où je voulais avec lui. Il n’y verra que ce qu’il veut y trouver. Voilà qui fera de cet acier un métal tout à fait correct, alors qu’au final, il ne s’agit que d’une scorie mal fondue, de rejets de fonderie dont on a depuis longtemps extrait tout le métal de qualité. Voilà tout ce qui reste de nous, mais surtout, tout ce qui reste de moi. Les meilleurs mensonges, ne sont pas ce que les autres nous racontent. Non, Drake, et tu le sais. Les meilleurs mensonges sont définitivement ceux qu’on se raconte à soi-même.

Quoi ? C’est une bonne question. À vrai dire, tu devrais connaître la réponse toi-même. La mort et le sang, voilà la seule promesse honnête que je peux te faire. La seule chose qui en vaut vraiment la peine. Le reste n’est que du vent. Des rêves irréalistes dans notre monde. Mais pourquoi cèdes-tu ? Pourquoi… Qu’est-ce que tu peux bien me trouver pour repousser si loin tes propres limites ? Oh je suis bon musicien. Je sais sur quelle touche appuyer pour faire de toi ma chose. Mais qu’est-ce qui te pousses à suivre la musique ? Je ne souhaite pas que tu arrêtes de te mentir à toi-même, mon petit Drake. Les choses n’iraient pas où elles sont censées aller si tu venais de voir la vérité non mais… Je ne comprends pas. Tout ça me dépasse franchement. Alors autant se servir de ça :


Je veux ton pouvoir et ta force pour brûler ceux que je te désignerais. Je veux ton âme et ton corps pour continuer mon escalade vers le sommet. Je veux ton sang et ta vie pour finir ce qui a été commencé. Voilà ce je veux vraiment, voilà pourquoi je te veux toi. Et puis il y a aussi le changement de paradigme de notre monde. Nous étions esclaves de l’IA, à vrai dire, nous les sommes toujours. Mais d’une façon ou d’une autre, il s’est passé quelque chose et nous allons devoir gérer les conséquences de ces actions. Si seulement quelqu’un avec la vision nécessaire avait pu gérer ce genre de projet : j’aurais pu faire de grandes choses. Mais ce n’est pas fini, nous n’en sommes qu’au début, d’abord Carcosa puis ce qu’il y a de l’autre côté.


Le serpent est bien plus petit que le dragon, mais il n’a pas besoin de la puissance monstrueuse de son gigantesque parent pour triompher. Il n’a pas besoin que d’une seule chose pour arriver à ses fins : son venin. Le mien ici s’infiltre déjà dans ton âme, il te ronge déjà de l’intérieur, nécrosant ton coeur. Tu es déjà mien. Alors en disant ça, je tends une main vers toi, que je pose délicatement sur ta joue. Laissant une petite décharge électrique nous traverser tous les deux. Puis je ramène ma main vers moi. Plongeant mon regard dans le tien. Il est temps d’en finir maintenant Drake. Tu as ta dernière chance de t’échapper, de t’en sortir. Suis-moi et tu signes ton arrêt de mort. Mais nous savons tous les deux le choix que tu vas faire.

Alors ainsi soit-il, mon petit dragon. Tu as choisi toi-même ton parfum : celui des chrysanthèmes. Le pire dans tout ça, c’est que je ne ressens rien. Ni statif action ni remord, ni regret. Rien. Un vide profond qui ronge mon âme qui n’est secouée que par les souvenirs que j’ai convoqués pour tenir ce rôle. Ces moments qui me hanteront toujours et que je n’arriverais jamais à oublier. C’est à ça que se résume ma vie maintenant ? N'est-ce pas moi, au fond, le plus pathétique de l’histoire ? Sûrement… Pourtant je lui rends son sourire. Une expression avide d’un désir et d’une vie que je ne possède pas. Un masque dans lequel je me noie à défaut de pouvoir respirer. Je plante mon regard dans le sien alors, et prends une infinie respiration. J’essaie de faire refluer les souvenirs et les fantômes qui me hantent. La tension redescend, ils ne sont plus présents. Je sens le tremblement de ma main se faire plus fort encore. Plus nerveux. J’ai beau faire aller les muscles de ma main, ces tressautements ne se calment pas.

D’une main mal assuré je cherche dans l’intérieur de ma veste après une cigarette. J’ai retenu le besoin de me tuer à petit feu pendant trop longtemps. Mais je n’en ai plus. Je cherche, je fouille. Mais rien, le fond de mon paquet gît écrasé un peu plus loin sur le côté. Je me retourne vers lui et lui adresse un sourire piteux, sûrement la première expression honnête depuis le départ.


Bien sûr, qu’il n’en a pas. C’est hautement improbable. Je devrais pouvoir en exiger de la part des soldats que j’ai amené avec moi. Je sais que certains d’entre eux fument ou au moins, amènent avec eux leurs petits contre partie de la mort pour que je m’intéresse à eux. Mais non, pas encore… Nous n’en avons pas encore fini, je ne peux pas partir maintenant. Une grande inspiration. J’essaie de retrouver mon calme, de garder le contrôle. Le contrôle sur moi, sur lui, sur nous, sur tout. J’enfonce mes mains dans les poches de ma veste et commence avec force à serré le poing droit. Si fort que je m’enfonce les ongles dans la chair. La douleur me donne un point de concentration. Un moyen de faire le vide et de retrouver un semblant de contrôle. C’est déjà ça.

Un grand soupir. Je m’en doutais, qu’il n’aurait pas de quoi soulagé cette addiction qui me ronge. Moi-même, régulièrement, je me demande pourquoi je lui laisse tant d’emprise sur moi. Puis je me souviens ce qu’elle m’aide à combattre. Ce que je n’arrive pas à surmonter sans elle. Je me souviens… Et c’est bien ça le problème. Je me souviens trop bien, de trop de choses. Les fantômes qui vivent à l’intérieur de la coquille vide que je suis me ronge petit à petit. Je me demande d’ailleurs bien ce qu’il leur reste à dévorer et qu’ils n’ont pas encore consumé d’ailleurs…


Même si ce n’est pas entièrement toi mais plutôt les cartes que j’ai dû jouer pour t’amener à croire les mots vides que je t’ai offert. Je suis ma réponse d’un demi-sourire cependant. Il est vrai que je suis pathétique à cet instant, j’en ai conscience. Vulnérable, voilà ce que je te montre. Si j’arrive à conserver un semblant de contrôle, ça devrait constituer le coup final. Te faire baisser ta garde, t’offrir complètement à moi. Oui, voilà, c'est pour ça que je fais ça. Bien sûr... Je sais maintenant où je veux nous amener, Drake. J’ai juste besoin d’attendre le bon moment pour te présenter les choses correctement. Oui, comme un musicien, je n’ai plus qu’à sentir le tempo et saisir le bon moment pour mon dernier crescendo. Je continue néanmoins de tendre les muscles de mon bras et d’enfoncer plus profondément encore mes ongles dans ma peau. La douleur est une bonne catalyse.

J’allais commencer à esquisser mon départ, commençant à me tourner pour partir quand j’entends qu’il veut que je reste. Voilà, tu as toi-même passé ta tête dans le collé. Le jeu est fini. Tu as perdu, petit dragon. Te voilà maintenant un animal en laisse. Je te promets de bien me servir de tes flammes. Je lui adresse un nouveau sourire et me laisse tomber sur les fesses dans un très long soupir. Où j’en suis ? Nulle part. Coincé dans un monde que je rêve de voir brûler et qui ne changera qu’à travers le sang. Seul, mais loin des douleurs que je ne sais pas géré et qui m’ont tué. Convaincu de faire tout ce que j’ai fait pour une cause plus juste, pour ne pas devenir encore plus fou que je ne le suis déjà. Mais la vérité, mon petit dragon, tu ne peux pas l’entendre. Toi aussi, tu as besoin de doux mensonge. La différence entre nous deux, c’est qu’avec moi-même, je suis honnête. Je sais ce que je suis : rien.


Je n’ai toujours pas déroché mes ongles de ma peau. Je crois que je peux commencer à sentir un peu de sang doucement coulé le long de la paume de ma main. Mais la douleur ne fait pas bouger. Elle ne fait pas me sentir vivant. Elle m’aide juste à me concentrer.