Ne t’endors pas, Silence.

Non, il ne s’endormirait pas, il le devait à Érinye. Combien de temps s’était écoulé depuis qu’il avait terminé de s’occuper de ses jambes? Il n’en n’avait aucune idée, bien trop concentré sur la surveillance des environs. Ses doigts caressaient doucement le lapin, qui avait finit par enfouir sa tête dans sa main, visiblement plus à l’aise que quelques heures auparavant. Le geste l’avait fait sourire et il soutenait maintenant la petite tête de l’animal qui dormait sans aucune inquiétude quant au monde qui l’entourait. Au moins un qui passait un bon moment.

La forêt était loin d’être silencieuse, mais étrangement, le bruit ne le dérangeait pas pour une fois. Peut-être parce que son esprit était bien trop occupé par la Vigilante et leur épreuve à venir. Les questions qui fusaient sous son crâne alternaient entre les causes des blessures d’Érinye et le déroulement du duel contre Strife, qu’il n’avait plus revue depuis qu’elle s’était suicidée aux derniers HS. Silence ne savait pas si elle se rappelait des circonstances de sa mort, mais si c’était le cas, alors peut-être devrait-il s’inquiéter pour son propre bien-être. Sauf que pour le moment, il n’en n’avait vraiment pas grand-chose à faire - après tout, le meurtre était interdit et une cicatrice en plus sur le corps n’était pas grand-chose. Et puis il ne pourrait pas se plaindre d’une injustice: il lui avait littéralement déchiqueté les cuisses la dernière fois qu’ils s’étaient vus.

Prenant une inspiration profonde, Silence passa sa main libre sur son visage pour éloigner la torpeur lorsque la voix d’Érinye lui fit tourner la tête si brusquement qu’il sentit ses cervicales craquer, surpris de la voir consciente. Il aurait mieux valu qu’elle dorme toute la nuit pour échapper à la douleur car il n’avait rien pour la soulager. Les membres cassés, il connaissait: les vagues de souffrances qui faisaient vibrer tout le corps d’une nausée insupportable, la souffrance à chaque micro mouvement, l’envie de bouger irrésistible. La vie aurait été plus clémente en laissant la Vigilante dans la brume de l’inconscience, d’autant qu’elle semblait être épuisée et avoir de la fièvre comme son regard trop brillant l’indiquait.
Et pourtant, Silence sentit le soulagement le gagner en la voyant éveillée, même si visiblement mal en point.

Pas un mot ne s’échappa de ses lèvres alors qu’Érinye observait ses jambes d’un air supris. Elle lui demanda si c’était lui qui avait fait “ça” - il supposa qu’elle parlait des bandages - et il eut étrangement envie de céder au sarcasme, de lui répondre que non, c’était le lapin qui s’était occupé d’elle. Mais ce n’était ni l’endroit ni le moment pour faire ce genre de bêtises, alors Silence se contenta d’un hochement de tête.
Il y eut encore un blanc entre eux alors qu’elle observait ses mains en fronçant les sourcils, et le Trapper se demanda ce qu’il pouvait bien lui passer par la tête. Il eut envie de lui demander qui l’avait mise dans un tel état, qui l’avait déposée là sans aucune considération pour sa sécurité. Il voulait savoir pourquoi elle était seule alors qu’elle était si mal, où était sa faction alors qu’elle avait besoin d’eux.

Cependant, il doutait d’avoir la légitimité d’exiger ce genre de réponse, alors il resta la bouche obstinément fermée, jusqu’à ce que la Vigilante lui pose une deuxième question.

Silence cligna des yeux et reporta son regard sur le lapin qui n’avait toujours pas bougé, la tête câlée au creux de sa paume. Son esprit remonta le temps de quelques heures.

“On peut dire ça comme ça. Mon adversaire a abandonné.”

Une victoire qui n’en n’était pas vraiment une mais peu importait finalement.
Ses yeux remontèrent vers Érinye, attentifs, alors qu’il écoutait les bruits autour d’eux pour déceler un potentiel ennemi. Il débattit un instant avec lui même, peu sûr que la question qui lui chatouillait les lèvres serait bien reçue - en même temps, comment lui demander ce qu'il s'était passé lors de son duel alors qu'il l'avait retrouvée dans cet état? Décidant d’attendre un peu, il préféra s’enquérir de son ressenti.

“Est-ce que ça va aller?”

Est-ce qu’il parlait de état physique ou moral? Lui-même n’était pas sûr. Il n’était même pas certain de savoir pourquoi la réponse à cette question lui importait alors qu’ils ne pouvaient même pas se donner le nom d’alliés. Probablement que cela venait du fait qu’il ne pouvait s’empêcher de ressentir une reconnaissance immense pour celle qui n’avait pas su lui cacher sa peine après les évènements des précédents HS. Sans avoir pleuré lui-même, il en gardait parfois le goût salé des larmes versées.

Silence ne savait pas si elle voudrait répondre - aussi différents qu’ils étaient l’un de l’autre, ils se ressemblaient en ce sens qu’aucun n’aimait montrer ses états d’âme devant autrui -, alors il décida d’enchaîner, toujours à voix basse.

“Je ne sais pas si tu sais comment tu es arrivée là, mais on est juste à côté du lieu de la prochaine épreuve.”

Ses yeux tinrent ceux d’Érinye pendant une seconde encore avant qu’il ne tourne de nouveau la tête pour observer la forêt.

“Si tu sens que tu t’endors, ne lutte pas. Je me charge de la surveillance.”

Bien sûr, elle pouvait ne pas le croire, décider de rester éveillée pour éviter une attaque de sa part. Après tout, ils ne se connaissaient pas tant que ça, n’étaient liés que par Shield et Hysteria au départ. Leurs chemins se croisaient de plus en plus souvent, toujours dans des conditions loin d’être idéales, et leurs réalités ne cessaient de se rencontrer pour mieux s’éloigner. Pourtant, Silence ne pouvait la détester et pire encore: il ne pouvait pas lutter contre les éclats de confiance qui s’installaient peu à peu en lui.