Le lapin s’était endormi et Silence l’observait, satisfait, en marchant distraitement à travers le bois. Il avait décidé de se rapprocher de la prochaine épreuve et de camper dans la forêt, assez prêt du lac pour avoir accès à l’eau mais assez loin pour être sûr de ne croiser personne. Ce n’était pas le moment de se battre, la nuit tombait rapidement et même s’il n’avait pas eu à faire beaucoup d’efforts - ces HS étaient bizarres mais il ne s’en plaindrait pas - son corps s’épuisait facilement ces derniers temps. Il se sentait lourd, légèrement amorphe et sa démarche traînante en attestait.

Le soleil avait laissé place à la lune et pour la première fois depuis un mois, il ne se sentit pas cette angoisse paralysante qui tiraillait impitoyablement ses muscles et son esprit.
Sans y penser, il se remit à caresser la petite tête du lapin. Peut-être était-ce le signe qu’il commençait enfin à sortir de ce tunnel duquel il était prisonnier depuis les derniers HS? Il l’espérait, ne voulait plus se sentir si faible.

Avec un soupir, il revint dans le présent. S’il continuait à se perdre dans ses réflexions de la sorte, il allait finir par marcher jusqu’à l’autre bout de la zone de ralliement; il avait déjà dépassé le coin où il voulait s’arrêter. Il allait donc faire demi-tour lorsqu’un bruit le fit se figer.
Soudain alerte, tendit l’oreille. Il lui avait semblé entendre quelque chose bouger dans le bois et… une voix? Des bribes de mots avortés, qui auraient très bien pu être le fruit de son imagination paranoïaque, mais il décida de d’approcher de l’endroit d’où semblaient venir les sons d’un pas soudain plus feutré. Ce n’était peut-être qu’un animal qui cherchait à revenir à son terrier pour la nuit mais au vu du contexte, il en doutait fortement.

Il aperçut Érinye juste au moment où elle s’effondrait.

Son corps bougea presque instinctivement, et il s’élança, arrivant juste à temps pour l’empêcher de se cogner la tête sur les grosses racines de l’arbres contre elle était. Pendant un instant, son esprit eut du mal à comprendre ce que ses yeux voyaient, ne faisant le lien entre les jambes détruites et le bleu profond qui tâchait le corps de la Vigilante ainsi que le sol de la forêt que de longues secondes plus tard.
Mais lorsqu’enfin il comprit ce qu’il se passait ,il lâcha un “Merde!” avant de déposer le lapin encore endormi dans le creux d’une racine, son autre main soutenant encore la tête d’Érinye. Son regard passa frénétiquement de la jambe gonflée à celle qui saignait abondamment et Silence serra les dents alors que l’inquiétude et la colère explosaient sous son crâne. Qui l’avait mise dans un tel état? Il savait qu’elle avait disputé l’épreuve de force et visiblement, son adversaire avait pris la chose très au sérieux. Assez pour la condamner à ne pas pouvoir se déplacer pour le restant des duels.

Silence releva la tête pour regarder autour d’eux. Il ne pouvait pas bouger Érinye, ne savait pas si elle souffrait d’autre blessure qu’un voyage, même court, aurait pu aggraver. Ils étaient coincés ici, en plein milieu de la forêt, dans un endroit où elle était particulièrement vulnérable.
Nouvelle bouffée de colère.
Silence se demanda si Érinye avait réellement été blessée par son adversaire ou si quelqu’un l’avait attaquée alors qu’elle faisait route vers le lac. Il avait reçu les informations de la puce un peu plus tôt, savait qu’ils étaient tous deux attendus pour une épreuve de réflexion le lendemain - il affronterait Strife - alors il était probable qu’elle ait été attaquée sur son chemin.

Secouant la tête, Silence reporta son regard sur la forme inconsciente avant de glisser son autre main sous son dos et de la réarranger délicatement pour qu’elle ne soit plus affaissée sur les racines mais soutenue en position assise contre le tronc d’arbre. Peu importait l’agresseur pour le moment, il devait faire quelque chose pour arrêter le saignement, calmer l’angoisse qui l’avait pris à la gorge en voyant l’étendue des dégât.
Le Trapper jeta un coup d’oeil aux objets éparpillés, nota le foulard et la gourde, qu’il secoua pour en connaître le contenu. Il restait trop peu d’eau, il allait devoir aller en chercher. S’assurant qu’Érinye était calée et qu’elle ne tomberait pas, il se releva rapidement, gourde en main, et sprinta jusqu’au cours d’eau le plus proche, ne voulant pas s’approcher du lac. Il remplit le contenant avant de revenir sans perdre de temps. Les quelques minutes passée loin de la forme inconsciente l’avait tendu, et c’est avec soulagement qu’il s’aperçut que rien n’avait bougé à son retour.

Silence s’agenouilla auprès des jambes malmenées, la concentration remplaçant d’un seul coup l’angoisse sans faire disparaître cette dernière. Il s’occuperait d’abord de la plaie ouverte - Érinye avait dû essayer de le faire seule, s’il en croyait la jambe de pantalon découpée. Avec des gestes précis mais précautionneux, il écarta les lambeaux de tissus et attrapa les bandages dans son sac avant d’en découper un morceau au couteau, qu’il humidifia pour le passer autour de la plaie et la nettoyer. Une fois satisfait, il s’assit, tendit l’une de ses jambes et souleva délicatement celle d’Érinye pour la poser sur la sienne et pouvoir la bander librement après avoir appuyé sur la blessure pour stopper le flot bleu nuit, presque noir dans l’obscurité.

Il travailla machinalement pendant un moment, se débrouilla pour trouver deux branches solides et créer une sorte d’attelle à l’aide des bandages qui lui restaient et de ceux trouvés dans les affaires d’Érinye - il s’excuserait demain d’avoir fouillé, mais il estimait qu’il s’agissait d’une situation d’urgence - afin de soutenir la jambe qui semblait cassée. Le gonflement était inquiétant.
Une fois les jambes traitées du mieux qu’il pouvait, Silence attrapa le foulard, le mouilla et entreprit de débarrasser Érinye du sang qui la maculait. Son esprit était étrangement vide alors qu’il s’affairait, comme pour le protéger des effets de la tornade de colère et de peur qui bouillonnait sous la surface.

Soigne la, soigne la, soigne la, soigne la, soigne...

Silence ne savait pas combien de temps il avait mis, mais lorsqu’enfin il se recula, la fatigue le prit d’un seul coup et il vacilla avant de se rattraper à un tronc. Ses yeux scannèrent méthodiquement Érinye - elle ne s’était pas réveillée et son teint était trop pâle mais au moins ses blessures étaient traitées (pour peu qu’on puisse appeler tout cela un traitement).

Les épaules du Trapper s’affaissèrent et il s’approcha près du lapin encore endormi pour le prendre dans ses bras et s’installer aux côtés d’Érinye. Il ferait le guet cette nuit, bien trop tendu pour dormir de toutes façons.
Machinalement, il attrapa le petit morceau de bandage restant et s’occupa de la patte du lapin qui s’était réveillé avant de le poser sur ses jambes tendues où il décida de rester et de continuer sa sieste.

Silence jeta un nouveau regard à la Vigilante. Outre l’inquiétude qui le rongeait, il se sentait responsable et surtout, redevable. C’était elle qui l’avait sauvé aux derniers HS, c’était elle qui était venue éclaircir la situation et qui, même si elle ne le savait pas, l’avait aidé à commencer à se relever de tout ça en lui offrant la vérité sur les évènements. Alors il ne la laisserait pas tomber et la protégerait à son tour.