Confrontant l'homme en noir, ses pensées se souvinrent de sa nuit lente, vaporeuse. L'impression que tout n'était  que rêve où se mêlaient écho d'acier, de pierres et de pleurs, le sentiment doux d'un bosquet paisible, d'un monde où le temps semblait s'étendre pour revenir sous le poids de chaleur. Récit insensé où apparaissait Silence, sa voix sans réconfort qui l'avait rassurée. Elle passa une main glacée sur son visage brûlant, la tête lui tournait encore et elle devait faire un effort pour ne pas sombrer dans un délire nouveau. Dans ce puzzle irrégulier, elle commença à douter de la présence du trapper près d'elle malgré sa première conviction un instant plus tôt. Pourtant, ses jambes étaient pansées, l'une retenue dans une attelle de fortune, sa mémoire gardait vive la souffrance ressentie lors des soins et des transports. Elle ne pouvait se retirer l'image du petit corps endormi dans les bras de Silence qui s'étire pour s'évader au sein du bois. Cette vision finit de la persuader que tout avait été illusion laissant la crainte de ne pas connaître ceux qui l'avaient secourue, maintenue en vie pour l'épreuve, de voir la silhouette de Silence, sentir un calme et une confiance qu'elle savait factices dont, pourtant, elle ne pouvait se défaire. Irritation de le savoir ainsi hanter ses songes, mêmes rendus fous par la fièvre.

Elle soupira, détournant son regard de l'insupportable arbitre, elle devait agir méthodiquement, s'imposer des objectifs pour ne plus se perdre. Elle saisit son sac disposé à ses côtés avec son fusil, une chance qu'elle n'ait pas été dépouillée de sa nouvelle arme. Une main aveugle dans le tissu épais pour vérifier que rien ne manquait et s'étonner que quelque chose y ait été ajouté. Un instant d'angoisse qu'on eusse pu ainsi toucher à ses effets, elle tira l'objet hors de son bagage, elle retourna ce qui se révéla être un morceau d'écorce. Ses yeux s'écarquillèrent devant l'inscription gravée, son cœur s'arrêta. Alors, elle n'avait pas rêvé.

Sois prudente.

Pourquoi, avait-il écrit cela ? Qu'il n'insulte pas son intelligence, la réponse était évidente, indélébile. Dans ce bois, il avait gravé son inquiétude. La sauver ne lui avait donc pas suffit. Il aurait dû l'oublier à l'instant où il s'était éclipsé, il aurait dû disparaître. Ils n'étaient pas amis, pas même alliés. Alors, pourquoi lui imposer le réconfort de le savoir encore présent. Sentiment si brutal qu'il noya la colère sourde qui avait afflué de l'incompréhension, de cette certitude qu'il n'aurait pas dû lui laisser tel message.
Hypocrite, c'était pourtant elle qui avait instauré cette sympathie. Lui ayant présenté sa peine en guise d'honnêteté, lui ayant demandé de veiller sur son amie, l'ayant encouragé un jour plus tôt, elle se prenait de plein fouet les conséquences de ses écarts. Ses doigts enlacèrent le bois, crispés par la douleur de ces os et celle de se voir ainsi déchirée. Désespérément, elle cherchait la faille pour rejeter entière cette attention qui la rassérénait. Aucune ne daignait se présenter.

Cette confusion n'était pas inédite. Que ses propos se veulent conciliant ou provocateurs, ils l'atteignaient toujours provoquant son emportement ou la laissant sans réponse. Sans ne plus prononcer aucune parole, il l'avait partagée entre exaspération et apaisement, embrouillant les pensées encore claires. Devant lui, elle se serait parée d'un mutisme orgueilleux, d'un sarcasme détaché. Or, seule, elle se devait d'être honnête. Elle lui était reconnaissante, ne se souvenait pas un instant avoir douter de lui. Agaçante situation d'avoir été sereine. Ainsi, elle ne put qu'acquiescer, lui assurer qu'il n'avait pas de raisons de s'inquiéter. Elle qui ne pouvait plus bouger, qui avait retrouvé les siens, elle serait prudente, ne l'insulterait pas en mettant en jeu la vie qu'il avait sauvé. Sa voix franchit ses lèvres, presque éteinte.

« Toi aussi Silence. »

Qu'il soit prudent, qu'il ne finisse pas dans un état semblable au sien. S'ils pouvaient n'être qu'un blessé grave par chasse et s'il pouvait éviter de nourrir l'inquiétude qu'elle souhaitait taire. Silence, ce nom murmuré sonnait maintenant pour elle comme une douce ironie. À lui dont les mots l'affectaient tant, elle se gardait le droit de reprocher son audace.

Lentement, Érinye glissa l'écorce dans son sac sans même penser à la jeter. Têtue dans la vexation, elle releva la tête vers l'arbitre, cherchant sur ce visage fermé une source d'irritation qu'elle ne parvenait à nourrir. Cependant, on lui refusait cette parade, l'arbitre s'étant écarté de quelques pas, la laissant respirer. Elle posa sa tête contre l'arbre qui la soutenait, ferma les paupières jusqu'à entendre les pas de Winter. Il revenait rapide auprès d'elle, déposant les indices qu'il avait récupérées. Affermissant ses pensées, se concentrant sur l'épreuve, elle l'écouta présenter ses conclusions.

Elle acquiesça silencieuse à la question avant de s'attarder sur les lettres présentées. P – R – E – L – I – N. Elle s'évertua à les placer dans des ordres différents, mais aucun ne faisait sens. Elle voulut se redresser, mais ne réussit qu'à s'arracher une nouvelle lame de douleur ainsi qu'un grognement. Elle avait tout essayé alors qu'un terme revenait en esprit, constant. Même à l'écart, l'homme les dévisageaient avec noirceur. Doutant que l'entraide fusse autorisée, il lui faudrait cependant désigner un vainqueur. Elle leva son regard vers Winter, lui confiant le mot, peu convaincue.

« Ça ne doit pas être ça, il manque une lettre. »

Pourtant, il était le seul qui faisait sens, au regard de la forme qu'il avait aperçue. Se rappelant les règles cotonneuses, elle n'avait pas entendu qu'une fausse réponse menait à la disqualification. Alors, il devait tenter. Quelques soient les scrupules qui lui présenterait, elle le pousserait au bout de la partie.

« Mais va quand même lui proposer cette réponse. »

Elle s'empêchait de vaciller sous la souffrance, de faire bonne figure devant le regard inquiet du garçon. Sa crainte ne devait pas l'empêcher de poursuivre, il devait agir aussi déplaisant cela était pour lui. Elle ne pouvait plus tenir autant debout qu'éveillée, épuisée d'une simple phrase prononcée avec une lenteur grave, essoufflée sans se mouvoir, déchirée au moindre geste.

« Winter, je ne peux et ne veux pas continuer. Alors, vas-y. » Un sourire. « Ça ira, ce ne sont que des jambes. »

Qui lui permettaient de survivre, certes, qui la laissaient surtout paralysée à deux heures du point de ralliement sans savoir qui de Silence, de tout autre avait bien pu la promener jusqu'ici. Elle considéra Winter, ce n'était pas lui qui la transporterait. Même s'il le pouvait, elle ne lui demanderait pas, l'obligerait à la laisser. Elle ne serait pas son fardeau. Un regard pour l'homme toujours immobile, que le garçon se rassure, elle attendrait en aimable compagnie.

Neptune en hiver:

Équipement et inventaire:

C y a l a n a

Il évite de croiser son regard, et attend, debout, sur le qui-vive.
Ils savaient.
Tous les deux, l'issue du combat. Et dieu sait pourtant qu'il s'était quand même préparé à l'affronter, au cas où.

D'un mouvement de tête contrarié, il se téléporte à la ligne d'arrivée, puis revient au point de départ, sans donner un regard à l'arbitre.

Il se pose non loin de Lilith, et calmement, il répond, poussant une profonde expiration :

- .. Et notre marché ? Souviens-toi, j'ai une dette.

Il se rapproche encore et murmure presque :

- Je vais te téléporter aux gradins. Où tu veux.