History

Toutes les cicatrices ont une histoire. Souvent cruelle, rarement heureuse. Elles ont toutes un début, une lame qui perfore la peau par exemple, ou encore la brûlure d'une cigarette au creux des reins. Comme si les courbes étaient des cendriers, que la chair loin d'être humaine était devenue animale, bestiale. Une chair à trouer, une chair à tuer. Je garde en mémoire chacune d'entre elle, indélébiles en rappel des erreurs du passé. Toutes les cicatrices ont une histoire, un début, une fin aussi. L'acceptation. La guérison. Le deuil. Mais jamais l'oubli. Jamais.

naissance (02/03)

Tu ne sais pas qui est ta mère. D'après les dires de ton père, Night, elle se serait enfuie juste après ta naissance. La réalité c'est qu'il l'a chassée, menaçant de la tuer. Ta mère n'était rien d'autre qu'une perte de temps pour son cerveau malade qui ne désirait rien d'autre qu'une décendance.

enfance

Au bas mot inexistante, elle a été ponctuée par l'éducation trop stricte d'un père distant, maltraitant et l'absence totale d'amour et de bienveillance. T'as grandi trop vite, Desire. Adulte dans un corps de môme, t'as rien connu d'autre que ça mais tu dois bien admettre que ça t'a forgée. T'es persuadée que t'aurai jamais survécu autrement.

13 ans

Night savait que ce jour viendrait, il te disait d'ailleurs souvent que les Hunter Sports étaient l'une des raisons de son comportement envers toi. Une excuse comme une autre, tu ne lui en tenais pas rigueur. À l'époque il t'effrayait, mais du haut de tes 13 ans à peine passés, tu t'es rendu compte face à toutes ces personnes bien plus expérimentées que toi que ce n'était pas de lui que tu devais avoir peur. Pas de cette façon, du moins. Il t'avait préparée, pourtant tu n'étais pas prête. Pas prête à tuer.

Tu seras appelée à en faire d'autres, tu sais.
Jamais de ta volonté mais ta volonté au final n'a jamais été, alors qu'importe, pas vrai ? Tu seras appelée alors tu iras et tu joueras, seule contre eux tous.

20 ans

Dans le chaos de ta vie, Bunny est sûrement la meilleure chose qui te soit arrivée. La pire aussi, probablement. Il est celui qui t'a retenu avant que la lame de ton poignard ne trébuche trop loin. À la place elle avait glissée dans le caniveau puis il t'avait emmenée. T'étais à la rue, t'étais affammée et c'est tout naturellement qu'il t'avait demandé pourquoi tu continuais à subir tout ça, ces punitions. Tout naturellement qu'il t'avait enchaînée à cette liberté que tu découvrais par le biais de vos corps enlacés. Il ne te touchera de cette façon que deux fois, Bunny. Propriétaire d'une espèce de petit bar sombre très fréquenté il t'avait embauchée, plus ou moins. De toutes ses danseuses tu restais sa favorite. La plus maléable et la plus douce, loin cependant d'être la plus docile.

23 ans

Ton père est mort. Tu ne sais pas vraiment s'il en était content ni à quoi il s'attendait en te l'annonçant. Toi même tu ne sais toujours pas vraiment. Néanmoins, ton père mort ça signe la fin d'une époque. Pas tout à fait le début d'une nouvelle, ça n'a rien d'un soulagement. Tu ne sais pas, juste que ton père est mort et que Bunny semble étrangement plus délicat -plus brutal, éclatant. Alors au final ce n'est rien de plus qu'un jour lambda de ta vie ravagée.

Le sentiment d'être livrée à toi-même t'agace, alors tu te laisses convaincre par ces âmes croisées plus d'une fois durant les jeux. Ils disaient que t'avais du potentiel, tu le savais, t'en as jamais douté. Il y en a une en particulier qui insistait plus que les autres sans que tu ne saches vraiment pourquoi alors tu avais fini par lui céder. Les entraînements furent difficiles mais l'expérience que tu y gagnas ne t'en rendit que plus forte. Alors à cet homme qui t'avait menée ici tu décidas de te soumettre. Après tout tu n'étais rien sans ordres, Desire.

présent

Tu survis.
Chasseuse depuis quatre longues années maintenant, tu te laisses porter par les désirs de tes souverains.
Tout bouge mais au final rien ne change vraiment, certainement pas toi en tout cas.

• • •

Il n’avait pas prêté attention à ton arrivée. Toi avançant prudemment de tes pieds nus sur le parquet ciré, lui un verre à la main le regard vissé au loin par-delà la fenêtre. Lorsque tu t’étais annoncée de ta petite voix d’enfant, il ne s’était pas retourné. Pas un regard, pourtant on devinait aisément au poids de l’air qu’il n’était pas content. Il ne l’était jamais après tout.

Mais cette fois tu savais précisément pourquoi.
Tu avais échoué.

- Père je-
- Tais-toi.

Ton corps qui se fige d’un instinct bien apeuré, c’est à peine si tu prends le temps de respirer. Trop jeune pour être habituée à tout ça, tu prendras vite l’habitude tu sais ? Dans un futur bien trop proche, ses coups ne deviendront qu’un juste châtiment et les larmes qui ornent le bord de tes prunelles quant à elles finiront par s’assécher. Tu apprendras que la compassion ne mène à rien, que la pitié est l’arme des lâches.

Et toi tu n’es pas lâche, pas vrai ?
Toi tu n’es pas faible Desire.
Pas vrai ?

- Bien sûr que tu l’es.

C’est vrai qu’il lit dans les pensées, lui. Alors il sait. Il sait quand il te regarde, qu’il s’approche si lentement pour te dominer de toute sa hauteur, à quel point tu as peur. Tu es terrifiée. Pourtant tu ne bouges pas car c’est une leçon que tu as déjà apprise, celle-là. Bouge et cette fois il te tuera pour de bon, il l’avait promis et ton père ne mentait jamais.


• • •

( ( ( n e d o r s p a s . . . ) ) )

Si tu dors Desire, je le saurai.

( ( ( t u s e r a s c h a t i é e . . . ) ) )

Il avait voulu t’épuiser, tu t’en souviens. Pour tester ton endurance, tes réflexes qu’importe. Il n’avait pas voulu que tu dormes et tu avais tenu une semaine, avant de t’écrouler un bon matin. Lorsque tu avais rouvert les yeux trois jours plus tard au quartier général des trapper et que tu l’avais vu près de toi ton sang s’était glacé. Il avait ce regard qu’ont les gens malades, les fous juste avant de commettre l’irréparable. Tu te rappelles avoir pensé qu’il aurait mieux valu que tu ne dormes plus jamais, ou qu’il te frappe directement la semaine dernière au lieu de te demander l’impossible.

Ne dors pas.
Une fois encore tu avais failli.

Alors les cicatrices cette fois furent beaucoup plus nombreuses que les fois précédentes. Et les coups furent plus violents. Et tes cris sonnaient beaucoup plus fort du sous-sol de votre maison.

74 heures.
C’est le temps que tu avais dormi.
C’est le temps qu’il avait mit.
C’est le temps de ta plus longue leçon.


• • •

La foulée précise tu cours à travers les arbres, esquive les obstacles avec une facilité déconcertante pour tenter de t’éloigner le plus possible de ces sauvages. Tes chaussures sont usées et t’as les pieds en sang mais tu ne t’arrêtes pas. Jamais. S’arrêter c’est mourir. Se retourner c’est mourir. Parce qu’ils sont tout près et tu le sais.

Tu avais été appelée.
Te voilà pourchassée.

Tu ne comptes pas le nombre de voix que tu entends, préfères à la place te réfugier en hauteur dans le premier grand arbre venu. Alors tu les vois passer et tu soupires du soulagement des vivants. Ils ne semblent pas t’avoir remarquée, tu devrais pouvoir te reposer. Le dos contre l’écorce, tu n’imaginais pas que ton premier hunter sport se déroulerait de cette façon. Sans un mot, la peur au ventre. Plus tard, tu apprendras de cette leçon qu’avoir peur c’est être en vie. Qu’il faut simplement savoir la doser, la dominer. Si tu domptes tes émotions alors tu avanceras.

Tu tueras.

Cet enfant au pied de l’arbre en est un parfait exemple, pas vrai ? Il te ressemble un peu et tu devines alors que son air assuré cache ses doutes comme tu caches les tiens. Tu l’observes de haut tandis qu’il semble chercher quelque chose du regard, avant de finalement lever ses prunelles dorées pour les planter droit dans les tiennes, à travers le feuillage.

Trouvée.

Touchée.

Alors tu sautes, quitte ta branche pour retrouver le sol avec souplesse -l’habitude des courses contre ton père. Et sans un mot les armes s’entrechoquent, tranchent.

Et sans un mot, vos souffles se coupent tandis que tu te figes.
Le corps sans vie vient s'échouer lamentablement sur le sol.
Félicitations, Desire.

Tu l’as coulé.


• • •

- Ton père est mort, Desire.

Tu ne dis rien, reste plantée à le regarder comme s’il t’annonçait que le ciel était bleu dehors. T’as le regard vide et les pensées envolées, tu n’es même pas certaine de refouler quelconque émotion vu comme tu ne ressens rien.

- Tu ne pleures pas ?

Tu ne décèles aucun jugement dans sa question, aucune méchanceté. Tu sais que Bunny te voit comme une curiosité un peu étrange, toi et tes manières trop rigides. Pourtant tu ne réponds toujours pas et tu sais que ça l’agace. Bunny n’aime pas qu’on lui tienne tête et peu parvient à le provoquer, du moins, quand ça vient de toi.

Il soupire à peine, ses bras poussant sur les accoudoirs de son fauteuil pour le propulser et l’amener jusqu’à toi. Tu n’as toujours pas bougé, tu sais, alors qu’il te surplombe désormais de toute sa hauteur. Vos regards qui se croisent, brûlants.

- Desire…

Murmure glissé à l’orée de tes lèvres tandis que son index vient caresser ta joue.
Tu frisonnes.

- Réponds-moi.

Toujours si bas, la voix si rauque pourtant si ferme juste avant que ses doigts ne viennent se refermer autour de ta gorge en une douce menace. Tu n’as jamais eu peur de lui, peut-être est-ce là le plus gros du problème.

- Qu’est-ce que tu veux savoir, Bunny.

Il sourit, resserre doucement sa prise.

- Ne me force pas à me répéter.
- T’es tordu…

Soufflé comme on complimenterait un enfant, avec ce léger sourire empreint d’une innocence que tu n’avais jamais vrai eu. Ça lui arrache l’ombre d’un rire, avant que sa main libre ne remonte lentement ton bras. Il l’effleure si suavement que ça t’hérisse les poils, t’as la chair de poule Desire. Pourtant loin d’être pressée de cette suite que tu connais par cœur depuis le temps. Trois ans déjà, que tu ne t’en défais plus.

- Je ne pleure pas, Bunny.
- Et si tu dansais ?

( ( ( c h a r m e - m o i , d e s i r e . . . ) ) )
N’aime que moi.

- Comme tu voudras.

Alors les corps seront beaux mais jamais ils ne seront tendres et les nuits seront violentes et les matins tout aussi fous. Carcasse meurtrie qui se réveille à l’aurore quand il te chasse, au revoir dit-il car tu n’es à lui rien qu’à lui seulement pour assouvir ses envies. C’est que l’homme au faux coeur sait combler les failles qui t’empêchent de sombrer alors c’est à lui que tu dédies l’entièreté de ton chaos. Mélopée angélique dans les bas-fonds de l’enfer, tu n’es pas heureuse, tu sais.

Tu ne peux pas être heureuse, Desire.
Mais lui non plus, et ça te va.