Le soleil chute lentement derrière la ligne d'horizon. Le crépuscule arrive avec ses lueurs orangées et l'obscurité a déjà fait son nid dans une partie de l'arche.
Tu décides alors d'abandonner ta forme humaine pour celle, plus petite, du hibou que tu es. Cette apparence est pour toi l'écho de la liberté. Elle te l'offre lorsque tu prends ton envol, délivré du poids des responsabilités portées et fuies. Tu ne t'intéressent alors qu'à ce ciel qui s'étend sous toi, à ce mouvement fuyard dans les hautes herbes, une proie potentielle. Cependant, l'humain que tu étais encore quelques instant auparavant avait déjà mangé. Alors le hibou déjà repu n'a que faire de cet amuse-bouche qui aurait pu périr ce soir entre ses serres.

Tu voles autour du quartier général. Tu ne veux pas t'éloigner, tu n'en as pas de raison valable. Alors tu profites, jusqu'à ce que le vent ne faiblisse et que tu te décides à te poser.

Un arbre proche de l'écurie. Ton premier choix. Et là, tu observes le va et viens des animaux. Tu penches la tête, tu hulules puis tu t'envoles à nouveau, mais pour te rapprocher. Ce chat ferait un bon casse-croute. L'instinct de chasse s'éveille...
Mais la silhouette humaine qui l'accompagne t'est familière. Tu te poses alors sur une poutre de l'écurie, à l'intérieur. Bien que discret, le chat, lui, t'a remarqué, car tu es un de ses ennemis naturels...

Il feule tandis que ses poils se dressent sur son échine. Cela ne t'impressionne pas le moins du monde. Tu es prêt à déployer tes ailes pour t'envoler et aller saisir ta proie, mais le chat n'est pas seul. Il est pris dans les bras par l'humaine proche. Ton mouvement d'ailes est annulé avant même de se lancer. Tu observes en silence la crise de panique du chat que tu perds de vue lorsqu'il disparait dans le foin. Ton regard acéré de prédateur nocturne se pose alors sur l'humaine. Elle te parle, sa voix est familière. Tu remets un nom sur sa personne. Tu la laisses s'approcher de toi, tournant la tête pour la garder dans ton champs de mire, comme si tu voulais une bataille de regard.

Évidemment que c'est toi qui fais peur à son chat. Tu avais voulu en faire ta proie. Juste pour... chasser. Simplement parce que tu l'avais aperçu. Par instinct.

Elle parle encore, comme quoi tu ne crains rien... Là aussi, tu pourrais le lui affirmer, si tu avais l'usage du langage humain, ce qui n'est pas le cas actuellement.

À la main qui s'approche, tes pattes se mettent en mouvement. Tu t'éloignes pour mettre de la distance entre sa main et toi. Tu n'as jamais été touché en ta forme animal. Tu ne l'es déjà pas beaucoup lorsque tu as ta forme originelle. Quoi qu'il en soit, tu refuses la caresse, ne sachant pas comment tu la ressentirai. Un contact sur tes plumes...

Tu ouvres les ailes en signe de défi. Puis tu les refermes.
Toutefois... La curiosité est là. En outre, elle s'inquiète d'avoir pu oublier l'une de ses créations. Tu penches alors la tête, gardant tes yeux sur elle. Sur la gauche. Sur la droite. Tu reviens ensuite vers elle.
C'est une nouvelle expérience.

Un rire suivi tes mouvements. Puis il y eut des mots que tu ne comprenais pas. Des mots qui n'ont pas été dit à ton encontre depuis tant d'années. Dire que tu les entendais à nouveau sous une forme qui était méconnue. Elle ne dirait pas cela si elle savait qui tu étais en réalité.

Il y eut ensuite les doigts sur ton plumage. La sensation est étrange, mais agréable. Elle ne dérange pas l'ordre dans tes plumes. Elle est bienveillante. Elle ne garde pas le contact trop longtemps non plus. Alors même qu'elle a retiré ses doigts, leur sensation sur toi persiste encore, comme la chaleur d'un contact sur un bras. À nouveau, des mots doux, mais vides de sens pour toi. Tu n'as rien de magnifique sans ta forme animale. Tu n'as rien de doux non plus. Tu es actuellement comme un imposteur, volant des termes qui ne devraient pas t'être adressés.

Néanmoins tu restes et observes la fin de son travail quand elle se remet à l'oeuvre, mais également les mouvements des familiers. L'instinct avait été apaisé par un simple contact. L'esprit de chasse avait disparu. À moins que cela ne soit le fruit de l'étrange calme et sérénité qui planent tranquillement dans l'écurie.
La demoiselle s'installe dans un lit improvisé. Le hibou que tu es penche la tête sur le côté, curieux. Car il est curieux de dormir dans le foin plutôt que dans un lit. Car il est curieux d'inviter l'ombre qui a voulu chasser son chat.

D'un battement d'aile, tu te rapproches et te poses sur la rambarde du box voisin. Tu ne peux venir plus près. Te loger contre elle serait dangereux pour ses familiers et pour elle-même, avec tes serres. Que ferait-elle si tu blessais celui qui est enfouis sous la paille. De plus, il y a un petit quelque chose d'indécent que ton esprit commence à ne plus saisir. Les pensées ne s'ordonnent plus correctement. L'animal reprend le dessus sur ta conscience. Tu décides donc de t'envoler, bien qu'ignorant le temps que tu as passé à contempler la vie dans cette écurie.

Tu en sors, de ton vol silencieux. Tu parcours un instant le ciel, en toute liberté. Et enfin, tu regagnes la lucarne de ta chambre. Dans celle-ci, tu reprends forme humaine. Tu t'étires et t'habilles. Avait-elle une couverture ? Tu n'arrives pas à le dire avec certitude. Et même si elle en a une, avec tant d'invité dans son foin...

Tu prends donc une couverture sous le bras et quitte la pièce. Tu parcours le qg pour te diriger vers l'écurie. Là, tu la retrouve dans le sommeil et tu déposes sur elle le drap que tu lui destinais, à elle et à ses petits compagnons. Cette fois, l'envie de les croquer n'est pas là, fort heureusement. Tu peux même accorder une caresse à pickles.

Dans ta caresse pour le chat, il y a un mouvement du corps que tu penses endormi. Tu te redresses pour t'éloigner, mais la voix de la jeune fille remplit l'écurie silencieuse. Tu te retournes pour lui faire face et pose sur elle ton regard froid. Tu brises la nouvelle distance entre vous d'un pas, te rapprochant d'elle.

- Non.

Réponse minimaliste. Après une pause et une oeillade qui se détourne pour le plafond, tu ajoutes dans un effort explicatif :

- Je ne faisais que passer.

Puis tu la regardes à nouveau et lèves une main vers elle. Plus précisément, vers ses cheveux. Tu en retires un brin de paille qui devient l'élément le plus intéressant du décor.

- Hm.

Tu penses, mais il faut parler pour te faire comprendre.

- Un lit n'est-il pas plus confortable ?

Tu reconnais que le foin à son charme lorsqu'il n'y a pas de lit. Il est plus confortable que le sol humide, bien qu'il puisse gratter de manière horrible. Mais ici, elle pouvait se reposer dans un lit, avec un matelas et des couvertures et des coussins. Alors voir cette enfant préférant ce lieu à un autre plus confortable éveille ta curiosité. Et tu dévies ton regard sombre sur la miss à la chevelure rosée.

S'assoupir... Tu te demandes l'espace d'une seconde si elle se serait réveillée si tu n'étais pas passé. Elle aurait sûrement pu dormir sa nuit. Les enfants de cet âge avaient l'habitude de passer des nuits complètes. Quand ils ne faisaient pas des insomnies à force de faire.... ce que les jeunes faisaient.

Tester... ? Tu hausses un sourcil en l'observant. Elle vient de t'inviter là où elle repose avec ses familiers. Ce serait les déranger aussi.

- Je connais déjà.

Trois mots qui pourraient être explicité un peu plus et... non. Pourquoi parler de toi ? Pourquoi raconter ta vie et tes aventures solitaires ?

Tu te penches vers l'avant pour remettre dans le foin le brin de paille que tu as pris de ses cheveux. Te promener avec... serait inutile. Et là voilà d'ailleurs en train de parler, encore et encore, dans un flot volubile et quasi incontrôlable. Ton regard se pose sur elle quand tu te redresses. Elle semble gênée, alors pourquoi ne garde-t-elle pas le silence. Le silence est d'or. Un adage qu'il faut parfois se rappeler ou mettre en avant. Mais le lui dire ne serait que l'embarrasser davantage.

- Hm.

Tu croises les bras, l'observant toujours.

- C'est une proposition que je ne peux saisir. Vos animaux s'y cachent.

Et qui sait lesquels peuvent s'y trouver. C'est à la fois de la distance et une forme de bienveillance que tu mets dans cette phrase qui pourtant sonne sans chaleur, comme toi.
Pourtant, tu ne t'éloignes pas, laissant la conversation se poursuivre si elle le désirait, si ses pensées s'étaient alignées sur un cheminement plus stable que le charabia insensé et décousu qu'elle t'avait fourni.

Si tu tenais à ta tranquillité, tu serai parti. Et pourtant, tu es resté. La compagnie de Calypso est rafraichissante, sans doute. Et elle mène la conversation pour deux. Quoique, puisqu'elle te pose des questions où les réponses ne sont ni oui, ni non. Te voilà embêter à devoir répondre. Tu prends une inspiration. Par où commencer ? Que dire ? Que expliquer ? Le temps que tu prends, elle l'utilise pour continuer et évoquer le hibou. Tu hausses les épaules.

- Il n'était plus là.

Évidemment, puisqu'il s'agissait de toi. Toutefois, tu ne le dis pas. Cela ne la regarde pas. Comment réagirai-t-elle en sachant qu'en touchant les plumes de l'oiseau, c'était ta personne qu'elle avait touché ? Pas vraiment le type qu'elle pourrait apprécier, penses-tu.
Tu secoues doucement la tête de façon à nier ce qu'elle vient de dire. Tu n'es pas bon. Mais tu ne l'exprimes pas. À la place, tu commences enfin à raconter.

- J'ai déjà pu expérimenter plusieurs fois les lits de pailles, dans une grange ou à l'air libre, lors de mes voyages. Ce n'est en rien quelque chose.....

Tu t'arrêtes dans ta phrase. Car tu la vois. La souris. Poursuivie par un chat.
Ton souffle se stoppe. Ta poitrine ne se soulève plus. Tu demeures figé jusqu'à ce que le chat que tu avais voulu dévoré un peu plus tôt te sauve en l'éloignant.
Alors tu te remets à respirer, ne quittant pas de vue l'endroit où elle avait disparue.

- ....d'intéressant. Ce n'était que des lits de fortune. Meilleur que le sol dur. Mais inconfortable pour les peaux sensibles.

Ah. Oui. Elle voulait savoir pour le masque...
À contre coeur, tu quittes des yeux l'endroit fixé. Que la souris ne revienne pas. Et tu poses à nouveau tes yeux sur elle.

- Ah. Es-tu sûre de vouloir savoir ? Ce n'est pas joli.

Bien que la fin des marques qui s'étendent sur ton corps et ton visage s'arrête au niveau de ton arcade sourcilière.

Un voyage ? Tout ce que tu as, ce sont tes rapports de voyage. Des faits, des recherches. Mais en aucun cas des récits. Pourtant, tu essaies. Tu te forces. Et les mots franchissent tes lèvres.

- Le désert lunaire. C'est calme. Silencieux. Apaisant et inquiétant. Et il y a des renards magiques. J'en au vu un qui m'a ramené. A moins que... Ce ne soit mon imagination, suite a un manque d'oxygène car le vagair arrivait à expiration.

Puis une question saugrenue. Toi ? Peur des chats ? La réponse sort directement.

- Non.

Tu cherches le chat du regard puis le reporte sur elle.

- Ce n'est pas le chat.

Mais tu refuses d'avouer ta phobie. Cela est ... Incongru et ridicule. Tu préfères le garder pour toi.

La demoiselle fait glisser les couvertures et se lève pour venir vers toi. Tu ne bouges pas d'un iota. Immobile et le regard rivé sur elle. Tu sembles la toiser, or ce n'est pas le cas. Le malheur de ta grandeur et de la forme de tes yeux.
Son compliment soudain te prend de court. Pas un mot ne sort. Exception d'une onomatopée.

- Ah.

Cela fait bien des années qu'un compliment de la sorte n'a pas été fait à ton encontre. Qu'est-ce qu'il se passait pour qu'elle vienne te le dire en face ? Sa gentillesse... est touchante.

Tu pousses un soupir et penche la tête sur le côté.

- Par quelles preuves ?

Ta curiosité te pousse à les demander.
Néanmoins, tu te défaits de ton masque, comme pour la remercier de ses paroles. Tu dévoiles à elle ton visage entier, lui présentant la marque que Lightning à créer sur toi en te faisant gouter de sa foudre.

- C'est le rappel constant que j'ai échoué en tant que père. Je ne suis pas bon.

Tu te dévoiles même un peu trop.
Tu détournes le regard vers le reste de la grange, ne souhaitant pas voir ton reflet dans le sien.

Un geste qui te surprend. Tu restes figé, ton regard se perdant sur sa personne. Tu ne comprends pas ce qui lui arrive. D'où lui vient cet élan de gentillesse depuis le début de ta présence ? Tu la savais douce pour l'avoir observée, mais subir cette douceur, c'était autre chose. Subir n'est d'ailleurs pas le bon verbe. Car oui, pour une fois, tu ne subis pas. Que du contraire. Bien que passif dans cette situation, tu en bénéficies sans rien en demander.

- Tu te méprends sur moi. Mais je te remercie. De nous deux, c'est toi qui est bonne et non moi.

Et tu ne retires pas la main qui se trouve sur ta joue. Tu l'y laisses. Même si ton bras s'était levé pour la lui enlever, tu l'avais arrêté dans son élan. Et c'est ainsi que vos mains se touchent, car elle retire d'elle-même sa main.
Dans le même temps, tu observes les rougeurs sur ses joues, mais ce nouveau contact, bien que fugace puisque tu en éloignes ta propre main de la sienne, te fait regarder sur le côté afin de ne pas la dévisager.

- Je ne doute malheureusement pas de moi. J'énonce simplement le résultat de faits.

Si tu avais été un bon père, tu ne serais pas parti. Si tu étais resté, tu aurais élevé tes enfants. Ta compagne serait vivante. Tes enfants ne seraient pas en guerre contre toi. Ton fils ne t'aurait pas électrocuté sous les émotions et guidé par sa soeur. Elle que tu n'oses pas appeler ta "fille", puisque tu l'as encore moins côtoyé que son frère...

À ses pensées, un voile se pose sur tes yeux déjà sombres.
Tout ce que tu cherches maintenant, en restant ici, c'est une forme de rédemption et d'expiation.