Tu fronces rapidement les sourcils avant qu’ils ne reprennent leur position initiale. Tu ne t’attendais pas à ce que cette femme soit enjouée presque à l’idée d’avoir un secret partagé avec un ennemi. Que cela signifiait-il, par ailleurs?  Tu étais encore perturbé par cette phrase, bien que tu ne montres pas réellement cet état de fait.

Ses idéaux sont respectables, mais dans ce monde, le respect était un luxe. Un luxe que tu ne pouvais te permettre si tu voulais mener à bien ton combat auprès des tiens, être le petit soldat parfait et irréprochable sur qui la puissance souveraine pourrait compter. Cependant, elle te rend, par la force des choses, de plus en plus curieux sur sa situation et son esprit qui semble tout simplement atypiques dans les environs. Etait-ce simplement parce que sa faction prônait cette idéologie qu’elle l’arbitrait à la perfection, ou bien une autre raison ? Tu étais à l’écoute. Ce qui était assez rare, il faut l’avouer, surtout envers une ennemie.

“Chacun ses passions.”

Perdre du temps à connaître des légendes sur le bout des doigts, peut-être juste que cela ferait pour toi des entrainements en moins et donc une force acquise en moins. Tu n’avais pas besoin de connaître la légende d’une terre pour y combattre des ennemis en foulant son sol. Cependant, tu n’étais pas non plus fermé à l’idée de l’entendre, si le temps et l’ambiance le permettait. En somme, ni plus ni moins d’intérêt pour cette activité, ce n’était juste pas la tienne... Mais quelle était la tienne, alors? Avais-tu seulement une autre activité que combattre, entrainements et dormir ?

La main sur ta nuque te ramènes à la réalité, bloquant tes songes. Tu te tends automatiquement à nouveau. D’un seul instant, elle pourrait potentiellement broyer ta nuque et, munie d’un alter, te... te... Très bien, tu avoues, ses doigts sont d’or et tu te laisses prendre au jeu. Tu en avais terriblement besoin, et l’idée même qu’elle puisse te tuer en cet instant ne remplace pas la sensation de plaisir que tes nerfs t’infligent en réponse à tes inquiétudes la concernant. Mais alors que tu te détendais, les murmures contre ton oreille te tendent à nouveau. Un frisson sur l’échine, et ton regard qui fixe l’horizon. Si tu ne tenais pas ton cheval, tu aurais immédiatement la main sur ta lame, en réflexe. Fort heureusement pour elle, seul tes phalanges ont blanchies sur les rênes.

Ses murmures sont comme les paroles d’une succube à ton égard. Tu as l’impression d’être tombé dans un filet étrange, mêlant bien-être et malaise, mais dont l’un prédomine l’autre à en aspirer la crainte et la méfiance. Un mélange que tu n’arrives pas à cerner et que ton esprit entremêle, faisant froncer tes sourcils d’incompréhension face à la situation et la réponse positive de ton corps d’accepter ce cadeau avec aucun remord.

“... C’est possible.”

Voilà que ta langue se déliait. Tu inspires alors et tournes légèrement la tête pour capter les formes de son visage, et croiser le sien de ton oeil azuréen.

“Car ce n’est pas ton cas?”

Question retournée à l’envoyeur, car cela ne te plaisait pas forcément de parler de tes propres émotions, d’exposer des faiblesses ainsi. Peut-être qu’elle pourrait le faire, puisqu’elle se sentait visiblement si à l’aise à l’idée de parler et se confier. Tu tournes alors à nouveau la tête vers l’horizon, mais ta concentration est à déploré pendant les quelques minutes qui suivent. Tu l’admettais mentalement, mais ses doigts étaient magiques sur ta peau. Un massage, tu en rêvais depuis quelques temps déjà.

Tes passions.
En avais-tu seulement ?
Probablement pas.
Il faut dire que tu n’étais pas de ceux qui se consacrent à ce genre de choses.

“Aucune connue.”

C’était la vérité.
Rien ne comptait plus que la mort, la vie, le combat.
Rien ne comptait plus que cet équilibre ;
Rien ne comptais plus ;
Rien ne comptais.

Tu es presque curieux d’en savoir plus sur “sa manière”, car pour toi, il n’y en avait qu’une seule. Tu découvrirais bien assez tôt qu’il n’y a pas qu’une seule manière de fidélité, mais tu le savais déjà, c’était juste... trop enfoui pour le réaliser. Tu captes la tristesse de son regard et fronce légèrement les sourcils. Toi qui ne communique que rarement par vocal, tu avais appris à comprendre chez les autres ce que toi-même tu exprimais à travers ton physique, au delà des mots.

Tu poses alors ta main sur la sienne, l’empêchant de la retirer.
Tu l’observes en silence, plantant ton regard dans le sien.
Tu ne dis rien, tu ne cherches rien.
Tu l’observes juste, pendant de longues secondes, gardant ta main sur la sienne posée sur ton torse.

“Je le ferais.”

Une promesse silencieuse.
Si tu pouvais soulager au moins la douleur vive dans le regard de cette femme, par une simple missive, pourquoi ne pas le faire?
Car elle était l’ennemie, certes. Mais...
Ta main se retira de la sienne, et tu repris la marche vers la frontière.
Que venait-il de se passer à l’instant ?
Les sourcils froncés, tu étais légèrement troublé, bien que ta mission principale ne s’était pas terminée.
Par ailleurs, la frontière était maintenant proche. Elle ne pouvait que prendre la direction de celle-ci.
Ton regard, toujours incompris, la regardait.

“Par là.”

Signifiant que tu n’irais pas plus loin.
Ta voix était cependant moins assurée.
Cette femme t’avait touché, quelque part.
Peut-être parce qu’elle avait quelque chose à sauver encore, là où toi tu pensais que tu n’avais plus rien à trouver.
Peut-être... Peut-être que...

Tu stoppes tes pensées et retrouves une armure de glace, un visage sans expression.
Tu ne peux pas te laisser aller à ce genre de dérives.
Elles sont dangereuses.