La Forêt des Gingko est dangereuse.
Les abords d'un territoire étranger, d'autant plus.
Et dans les mains moites de Celsius, une missive ; le résultat de plusieurs jours de correspondance.

Ce n'était pas tous les jours qu'on lui portait tant d'attention. Il fallait bien avouer que son ascension en tant que major des siens avait longuement été discutée : pourquoi foutre cette Sorcière et ses maudits chiens aux dessus des autres ? Pourquoi cette bonne femme, et pas Fahrenheit ?

Aujourd'hui cependant, est un jour différent.

L'harmonie règne pourtant en maître dans cette forêt aux allures de jardins luxueux qui faisait de leur territoire le plus précieux et le plus cruel des paysages. S'il y avait de quoi se sentir oppressé par l'environnement, la douce chaleur de sources naturelles d'une plaine et le dressage d'un campement provisoire -non loin d'où elle se tenait- était le théâtre de relaxation privée et secret de la jeune femme.

Pour autant, ce n'est pas le trac qui régnait dans le coeur de la major. Le flegme et les habitudes de Celsius n'étaient un secret pour personne. Son détachement pour les apparences ne la rendait d'ailleurs pas plus féminine dans son rôle de major en dépit d'une silhouette élancée ; elle aime le naturel, le contact de l'eau sur sa peau nue, et ne pas s'embarrasser de trop de conventions quand elle le peut.

Hélas, la truffe mouillée d'un gros chien noir vint briser cet instant de plus parfaite sérénité, l'une de ses paupières se levant. A l'écoute des murmures et du souffle de la créature qui l'accompagnait.

"Ah, il arrive bientôt, c'est bon?"

La reniflement d'un gros chien noir et ses couinements étaient teintées de reproches, lui intimaient de se dépêcher.

"Attend, je profite encore un peu d'un temps de répit, c'est rare par ici..."

Une seconde. Puis deux. Il était temps. De sa dextre, elle attrapa le tissu blanc de sa chemise pour la reboutonner en prenant garde à respecter un minimum de confort dans ses mouvements. Ses ongles veillèrent à effiler une dernière fois ses cheveux de feu. Que ce Souverain attende donc quelques secondes de plus, s'il tenait tant que cela à cette improbable trêve - mais rêvée !- qu'il lui garantissait.

Il était de notoriété que Celsius aimait se faire désirer...
Sa patience était donc un test. Car la concernant, elle ne portait encore aucune foi dans un tel accord.
Mais elle aurait bien voulu. Elle tente de prendre au sérieux le Roi d'une faction sans Raison.
Un signe de main en sortant, voit quelques soldats des Savants s'avancer à ses côtés.

****

La major ne mit néanmoins pas trop de temps à arriver à bon port. De tête, elle connaissait la destination, et les instructions de son plus fidèle gardien, Gurt de Somerset.  

S'il savait compter. Celsius n'était jamais certaine d'avoir à faire à une lumière quand il s'agissait des anarchistes.
Mais dans le fond, qui de mieux placé pour parlementer avec le Souverain Wild qu'elle ?

Toujours avec politesse, elle s'avance. Entreprend de rencontrer et de juger ce roi qui promettait une trêve.
Une pensée, factice, pour la danse qu'elle avait mené avec l'un des leurs.
Déterminée, elle tend la main, sans attendre pour autant un retour de sa part.

"Bienvenue dans les abords de cette forêt, Souverain. J'espère ne pas trop vous avoir fait attendre et que le voyage vous fut...favorable.", avoue-t-elle avec un brin de politesse.

Le chien, à ses côtés, garde une tête noble et droite en direction du Roi, bienheureux d'avoir mené à bien sa mission. Sa présence, pourtant, est intimidante, et nul doute que passer la main dans son pelage susciterait un frisson et une peur viscérale.

"Celsius, major du clan des Trappers et chef des expéditions aux Huntings Sports. Permettez moi de vous accueillir dans le campement provisoire, juste ici. Vous y trouverez de quoi vous ressourcer pour les heures à venir et bien sûr, une table pour parlementer de cette...trêve. Je vous escorte."

Un regard en direction d'une tente, dressée temporairement pour l'occasion et dans lequel quelques vivres et boissons trônaient fièrement sur une table.
Car après tout, la table des négociations n'était pas faite pour être vide.
L'hospitalité est une donnée importante, pour délier les langues et parler trêve, et surtout manigances.

Chien présent : Black Dog - Gurt de Somerset :

Les Wilds.

Un mythe d'enfance.

Ou plutôt, le cauchemar de ses jours innocents. Sa famille -fidèle à leur faction depuis des générations- lui avait toujours répété la même chose s'agissant des quatre familles qui se mangeaient le museau depuis maintenant un siècle :

-Les Legendary sont à l'image de leur nom et de leur notoriété : des petits péteux, fragiles dans leur ego. Des fayots de l'I.A, surtout ;
-Les Vigilantes, tendres alliés souvent représentées en petites grenouilles tantôt gentilles tantôt toxiques dans les dessins d'un artiste de la Maison des Chasseurs : de braves hommes sur qui l'on peut compter pour quelques coopérations. Des bourrins avec de jolies valeurs, mais sans jugeotte particulière ;
-Et puis les Wilds...Oh, ces gens si particuliers et méprisés...

"Ils sont dangereux, et peu fiables Celsius. Regarde, Tante Joy pleure encore ton oncle Volt à cause d'eux, et notre illustre grand-père Tesla l'affirmait lui-même en dépit de son génie ; ces gens sont des monstres."

Les Wilds sont des monstres.

Ce sont les premiers mots qu'elle a entendu sur ces terribles, miséreux et misérables soldats. Avant même de rejoindre les Hunting Sports, Celsius s'en faisait une image inquiétante : Une belle bande de sanguinaires, la hâche à la main et toujours prêt à tuer son prochain. Et puis, pourquoi pas les imaginer avec deux petites cornes en supplément sur la tête ?

Oui, ces gens-là seraient si effrayants qu'ils iraient même jusqu'à faire fuir ses Black Dogs.

Ses premiers Hunting l'avaient terrifié à bien des égards, mais tout n'avait pas été que vérité.  Le premier Wild qu'elle avait rencontré était un jeune homme mortellement blessé à l'estomac, et il n'avait pas l’allure d'un monstre. Son visage trahissait un maelstrom d'émotions, oscillant entre regret et frayeur. Il ne pouvait pas parler, et sa voix était confuse et noyée dans des caillots de sang, mais il implorait de ne le pas le tuer. Oui, Celsius se souvient que la simple vue d'une gamine incapable de contrôler un chien l'avait tant effrayé qu'il en était mort sur cette note-là.

Au final, qu'est-ce qu'un monstre ?
C'est une question que Celsius se pose encore aujourd'hui, quand le temps le lui permet de réfléchir à cette question.

Est-ce le Souverain grognon qui peste si bruyamment dans sa tête qu'elle peut en lire toutes ses pensées et sa fatigue ?

Ou bien est-ce le Wild sans titre et sans volonté qui s'approche d'elle, et qui lui serre la main pour mieux la rabaisser sur les bonnes volontés impérieuses de son Roi ?

Ou encore, seraient-ce ses Black Dogs, qui l'ont tant effrayé, elle et les autres enfants, durant son enfance ?

Alors en silence, Celsius contemple. Elle perçoit l'homme faire ses premiers mouvements diplomatiques. Il est d'un naturel intimidant ; elle-même n'en est pas totalement immunisée. Un frisson glisse le long de sa nuque et une sensation étrange, comme celui de l'adrénaline, s'éveille et taquine sa gorge. La voix d'Hadès est celle d'un souverain qui commande aux coeurs accrochés dans leurs poitrines, à ceux qui ont laissé derrière eux le goût de la désinvolture pour mieux l’exprimer sur le terrain. Son ton, âcre, résonne en elle et soulève l'envie de se défendre.

Et il lui donne soif.

Alors, ses doigts filent vers une bouteille de champagne, dont elle ne se privera certainement pas en vue de la rareté exceptionnelle d'une telle occasion.

Et s'il ne partage pas le pain, continue dans cette lancer ?

Alors il est sot.
Plus bête qu'un louveteau.

"Un Verre ? Je me permets, afin de faire porter la Voix de mon Souverain..."

Un soupir s'échappe.

Ce n'est pas une insulte ouverte, mais un constat.

Le culot de la bouteille fait résonner un cliquetis satisfaisant, riche et électrisant dans l'atmosphère. Le liquide et la mousse qui se forment et gonflent presque jusqu'à ras-bord est un prestige qui fait pétiller ses yeux de jade et lui soutire un sourire au moins aussi politique que poli. Ces raisins, cette liqueur, ces personnalités présentes et aux couleurs opposés ; tout ceci est à mille lieux de la pauvreté dans laquelle ils vivent depuis quelques jours. Les plats ne sont pas si nombreux, mais ils ont été dressés avec attention pour accueillir la personne qui leur fait face.

Pourtant, confortablement installée dans sa chaise, la chemise à moitié déboutonnée et accompagné de Gurt, Celsius se sent l'âme d'un bon prince. Suffisamment pour observer avec tendresse, le Souverain des Wilds tant attendu. Elle lève le verre en sa direction, puis s'empare d'une petite gorgée tout aussi charmante que militaire.

"Seigneur Wild."

Soit. Elle s'accomoderait. Pour l'heure.

Celsius peut tolérer ce mépris, mais pas plus. Elle est une créature patiente, qu'il ne faut pourtant pas trop taquiner ou ignorer en feignant un caractère rochon.
Et elle tient à le lui rappeler, à ce petit brin de royauté :
Ce n'est pas sa Cour, ici.
Ce territoire est celui des Trappers.
Et les intérêts, eux, ne pardonnent pas quand ils sont joués autour d'une table.
Alors elle ne lui fera pas le plaisir de répondre directement. Après tout, s’il ne fait pas d’efforts, pourquoi le ferait-elle ?

S'il initie un pas de danse volontairement brusque, Celsius compte bien en faire tout autant.

"…Vous savez, votre réputation n'est plus à refaire et vous n'êtes pas souvent très appréciés, que ce soit chez les Vigilantes ou parmi les nôtres, voire même chez les Legendary."

Parce qu’elle songe qu’ils ne sont pas en mesure de faire la grimace et d’attendre d’elle qu’elle réponde sagement oui ou non.

"Ca ne doit pas être facile, pour faire des alliances et des trêves. Je suis ravie de vous voir faire ce premier pas. Je sens l'événement exceptionnel."

Parce qu’un chat reste un chat.

Un regard plein de compassion. Un petit rappel de circonstance, subtil, bien présent.
Ce ne sont pas les Trappers qui sont en position de faiblesse, qui manquent de communication ou qui ont envoyé cette lettre.
Ce ne sont pas eux qui manquent d'alliés ; bien que les Vigilantes se soient montrés particulièrement silencieux, ces derniers temps.

Ce sont les Wilds.
Ou plutôt ce Roi, qui n'a d'ailleurs pas manqué de l'insulter par trois fois.
Et Celsius, Celsius n'est pas Titania. Elle ne crache pas de sang en manquant de donner des ordres qu'on ne peut refuser. Elle n'est pas Alastor, non plus. Elle n'a pas son goût pour les apparences ; preuve en est de cette chemise scandaleusement boutonnée et le naturel de sa tenue. Elle n'est pas la douce Calliope ; l'incarnation d'une gentillesse, d'une innocence prisée parmi les siens.

Elle est un Croc.
Le Croc des Chasseurs.
Et elle entend bien mener cette négociation sur un tango à défaut d’une valse, si son partenaire de danse ne sait pas s’adapter à son rythme.

"Bien sûr, votre lettre m'a rendu particulièrement curieuse et nous ne tournons pas le dos à une demande qui pourrait nous être bénéfiques. Mon Roi n'est pas venu, mais j'écoute vos propos et j'observe votre attitude avec ses yeux." Et Celsius le soutient, son regard froid et impérieux. Elle connait le rôle de ce dernier mais n'apprécie guère être dominée, et elle ne compte pas s'incliner face à son caractère de chien et à ses attitudes, quitte à laisser les mots s'évader avec une certaine fermeté, mais sans jamais perdre le calme olympien qu'elle a construit parmi les siens. "Oui, nous écoutons ; il serait bête de gâcher ces quelques précieuses ressources sur une méfiance évoquée pendant une potentielle alliance. Profitez-en, je vous prie. Nous pensons réellement ce que nous offrons."

Ces mots dits, Celsius se redresse sur son dossier. Son dos se penche et elle saisit enfin le morceau de pomme qui lui fait de l'oeil depuis maintenant quelques minutes sur cette table. Et à pleines dents, non démunie d'une violence au moins aussi gourmande que sereine, le fruit est croqué.

Mastiqué.

Dégusté.

"Quelles sont vos visions ? Vos intérêts à communiquer avec nous...Et jusqu'où pensez-vous solliciter cette alliance? Pour vous répondre oui, encore faudrait-il ficeler quelque chose de plus concret qu'un petit mot et du mépris, sinon cela n'en vaut pas la peine."

Celsius est à l'image qui vient de trouver un os à rogner ; pour le moment, c'est elle qui aborde les questions pointues et qui pourra réfuter ou non les propositions de ce roi.

Et s'il lui tourne le dos ? Et si son Ego est froissé ?
Peut-on faire confiance à un potentiel allié qui ne feinte aucune bonne volonté ?

S'il fait preuve d'un peu plus de bonnes volontés, peut-être pourrait-elle coucher les plans des Trappers.

Qu'importe l'issue, le repas fait au moins tout le bonheur d'une femme...

Chien présent :

Les doigts tapotent, sur cette manche blanche. 

Ce n'est pas une rencontre que Celsius peut qualifier d'agréable. Le Roi s'exprime, laisse transparaître ses paroles indécentes. Ses dents manquent bien de crisser à plusieurs reprises... L'ire de la Major n'est pourtant pas dirigé vers sa répartie, mais vers les ambitions inexistantes en apparence de ce roi qui ne voit que l'objectif de base.

Les Hunting Sports.

Mais que faire de la Chasse, quand les sessions ne se comptent dorénavant même plus mentalement ? Pour Celsius, ils n'ont pas d'autres importances que de ne pas tomber dans l'oubli. Il est des choses ayant plus de valeurs que de petites manigances autour de combats fratricides où l'un se prétend monstre. 

La survie de ses soldats est plus importante. 
Les talents des siens sont plus importants.
Ses expériences étaient plus importantes. 
Sa Maison est plus importante. 

Les prétentions du Souverain balaie son éclat de porcelaine sitôt qu'il insulte son invitation.

"Ce n'est pas un dépouillement." Elle marque une pause. Les mots du Wild ont leur sens bien à eux, elle entend sa volonté, mais ils n'ont de Raison que le court terme et l'anarchie. "Ce repas qui vous semble injuste, c'est le résultat un peu chiche de ventres qui ont grouillé hier. C'est la volonté commune, organisée et soudée pour vous accueillir comme il se devait malgré nos différends." 

Il est cette fois-ci un peu plus de passion, dans sa voix.
Oui, il suscite en elle une colère assez vive et naturelle, qui fait trembler son masque de quiétude.
Et il est de notoriété que la quiétude n'a jamais été une qualité innée chez Celsius, en dépit de tout ce qu'elle prétend être.

"C'est ainsi que l'on qualifie l'ordre des choses et que l'on forge des bases solides ensemble. Que l'on avance. Si nous vous accueillons, ce n'est pas pour...simplement ne plus vous trucider lors des Hunting Sports. C'est pour que vous et moi arrêtions de stagner sur la même problématique depuis un siècle sans changement : Tuer pour manger. Et ça ne sera possible que si l'on part sur une bonne base en réfléchissant à plus grande échelle. Que si le monde commence à être visionnaire et réellement ambitieux au lieu de ronger des os et de s'en satisfaire. Qu'on s'entende bien à ce sujet, Seigneur Wild. Vous voulez survivre, mais moi, je veux du progrès."

Un regard soutenu, dans ces yeux fatigués par la vie.
Que cette disette s'impose aussi à son roi est le cadet de ses soucis. Celsius a la langue bien pendue. Le palais gourmand également, à en juger la douceur qu'elle puise désormais dans le goût fruité de ses raisins.

"Je suis Major, j'ai vu de tout. Quant à mes crocs, ils n'ont jamais été très cléments. Ni avec la tradition, ni avec l'autorité, ni avec les mangeurs d'enfants." Une main, sur ce chien tout aussi apaisant qu'effrayant. Sa truffe tressaille, baille puis émet un couinement qui en dit long sur son expérience. "Mais les choses contestables que je peux faire, je veux les faire pour des actions qui en valent la peine sur le long terme. "

Pour un futur qui leur serait profitables. Car, quoiqu'ils puissent en dire, dans l'infernale boucle des intellectuels, Celsius est persuadée qu'ils sont la seule solution. Si toutes ces ressources étaient mises à leur disposition, la famine ne serait pas aussi grande.

Toujours présente, certes.
Mais pas autant.

"Et épargnez moi donc vos histoires sordides ; elles sont captivantes, mais le monde ne s'attarde ni ne pleure sur des os. Cela ne me donnera pas envie de négocier avec vous."

Parce que les vivants comptent davantage ; que si les adultes sont traités d'égal à égal, les enfants ont toujours été appréciés de Celsius.

Et le reste? 
Le reste n'a pas d'importance.
Le reste est une distraction.

"Je ne peux vous donner mon asssentiment personnellement pour une alliance aussi...courte. A moins que vous n'ayez d'autres ambitions plus intéressantes à me faire part. Mais je rapporterai vos mots à mon Souverain néanmoins. Lui seul peut décider."

De son côté, le coeur n'y est pas.

Chien présent :

C'est toujours compliqué, de négocier avec les autres factions : ils n'entendent pas les opinions inverses.
Leurs tons hargneux reviennent sur le taux et le nombre de morts pour mieux la fustiger de tous les maux de la Terre.
Dans leurs droits ils pleurent leurs morts, et ne se relèvent plus.
Celsius ne sait pas combien de temps elle a passé à écouter la litanie et le ton cassant du Souverain Wild;
Suffisamment, pour attendre quelques minutes de plus et le laisser dérouler ce qu'il avait sur le coeur et ce qu'il haïssait au plus haut point dans ses réflexions.
Et sur certains points, son aigreur la touche, la renvoie à des souvenirs peu agréables.
Hélas, elle ne peut pas le contredire. C'est son vécu.

"Non. Je n'ai pas la prétention d'avoir mieux agi que n'importe quel participant aux Hunting Sports en tant que personne. Et vous avez raison. Je ne suis pas bien placée pour justifier les morts d'hier. Le sang coule sur nos mains, pour vous comme pour moi. Ne... sommes-nous pas des monstres, pour bien des amis, des pères, des mères et des enfants?" Ces derniers mots, Celsius ne peut que les souffler. Perdue dans ses pensées et dans ces fantômes du passé, quelque chose dans cette conversation anime sa voix. "Mais ce que je ne peux ignorer, c'est qu'on s'embourbe à suivre toutes ces règles comme si elles étaient incrustées dans le marbre depuis toujours. Et...je dois l'avouer. J'aurais sûrement été d'accord, de participer à tout ça et d'être ce que je suis, si ces morts avaient une finalité. Mais comme vous avez pu le constater, cela fait au moins cent ans qu'on survit. Cent ans que tous ces massacres ne changent jamais et que nos deux factions s'opposent. Ordre et Impulsivité. Nous portons le fardeau de nos prédécesseurs, il est bien éreintant quand bien même il semble avoir de moins en moins de sens...N'est-ce pas ?"

Hadès a le droit à ce qu'il n'a pas eu précédemment ; un peu de compassion pour les Hommes qu'ils représentent tous.
Et cette fois-ci, il n'a pas de diplomate ou de faux jeu d'un major.
Il a juste Celsius et son opinion contre tous.  

"Je connais des Hommes, je connais aussi un Roi porteur de traditions. Ils pensent bien différemment mais ils sont au moins aussi têtus que vous. Tous les morts ne se relèveront pas, c'est un fait. Mais qu'en est-il des vivants ?" Ces mots sont comme chuchotés dans un interdit qu'elle brise malgré elle. C'est dur de nager à contre-courant ; il faut de la force pour briser les tabous. "Ces anciens Rois, ils n'auraient pas voulu vous écouter. Mais moi..." Celsius semble hésiter dans ses mots. Comme si elle avait peur de trébucher. "...c'est différent. Je n'ai jamais été très respectueuse des coutumes, ni très patiente dans le fond. Ca nous fait un point commun. Et je voudrais vous comprendre."

Même si les mots sont durs,
Même si le discours d'Hadès est décourageant, plein de désespoir,
Il lui dit que ses tentatives sont vaines, qu'elle ferait mieux de ne plus croire au lendemain,
Mais elle voit plus de lumière dans son raisonnement que durant les premières minutes de leur tête à tête.
Sans doute parce qu'Hadès ouvrait une porte ; celle sur son opinion personnelle.

"Je vous retourne la question : qu'est-ce qui vous dit que dans 10 ans, on ne sera pas face aux mêmes problèmes ?  Pardonnez-moi, mais j'ai toujours eu la sensation que l'I.A. prenait un malin plaisir à nous torturer depuis cent ans. A jouer avec nos peurs, et j'oserai affirmer être très familère avec notre amie la Peur. Un sentiment aussi dégoûtant qu'important... Une arme pour mieux nous asservir. Elle n'a jamais été plus efficace qu'aujourd'hui, et je ne saurais dire pourquoi on l'associe toujours à quelque chose de déraisonné. Moi, elle me semble très stratégiquement employée par l'I.A." Cette notion, elle la connait par coeur. A vécu avec depuis son enfance. Les yeux fermés, elle pressent le mal-être et l'atmosphère lourde de leur mésente ; il y a le ricanement de leur tortionnaire dans ce silence assourdissant. "Oui, l'I.A n'est pas prête à mettre fin à nos tourments."

Sa gorge est sèche et l'argument la fatigue. Elle trouve seulement de la force en trempant ses lèvres une petite fois, juste une fois, dans ce verre à demi-rempli.

"C'est une leçon importante que vous me donnez, et j'oserai être...désolée que le jour présent vous paraisse obligatoirement si funeste et sans lendemain, pour ce que ça peut valoir. La vision du Trapper est celle de l'avenir ; celle d'expérimenter pour en ressortir plus fort et plus avisé. Cela demande de la patience, du temps et un peu de chance."

Après tout, pouvait-on obtenir une fleur sans laisser la graine germer ? Carcosa n'a pas l'air de réfléchir totalement à court terme, bien qu'elle compte les minutes pour mieux leur rappeler la valeur du temps. Si toutes les hypothèses sont bonnes à prendre, alors Celsius veut bien tenter d'observer le monde sous le prisme de leurs..."convictions".

"Mais vivre totalement au jour le jour et suivre ses instincts et ses passions, n'est-ce pas aussi croquer la vie parce qu'elle vous appartient totalement ? Parce que demain est un autre jour, que vous avez tout tenté le tout pour le tout et que vous avez la sensation que vous serez peut-être encore là pour vous relever ? N'est-ce-pas un moment pour accepter de...peut-être de manière égoïste, oublier un bref instant ce qui vous chagrine et accepter d'avoir de nouveau un oeil curieux, téméraire et gourmand sur ce...et surtout ceux qui vous entoure ? D'oser des choses que personne n'a jamais songé à faire parce que c'est interdit, en contradiction avec des valeurs morales, avec la Raison ou avec le chemin de la Grandeur ?"

Celsius ne devrait pas lui dire tout cela. Ca ne devrait pas être son problème, de tenter de raisonner un Roi désespéré.

"Vous n'êtes pas mon roi, mais voici ce que je peux vous partager : vous ne devriez pas perdre espoir...Le monde est laid, mais il y a encore du beau au naturel. Et je ne crois pas que votre vision soit nécessairement fausse, mais avoir de l'ambition et regarder au lendemain, ça ne veut pas dire oublier ceux que nous avons perdu." Un aveu. Celsius a connu la mort et les abandons, elle aussi. Les défunts sont des traîtres quand ils nous quittent plus tôt que prévu. "Des gens comptent sur vous et vous pouvez leur apporter votre expertise pour qu'ils ne refassent pas les mêmes erreurs. Et eux, ils auront peut-être autre chose à vous apporter en retour, qui sait ? Quelque chose de plus doux ou malheureusement de plus amer ? On ne sait jamais à l'avance, alors on ne fait qu'espérer d'avoir fait les bons choix et ce, malgré les incertitudes."

Son regard plein de défi, ne porte pas autant de peur pour le lendemain. Elle sait que quand les Hunting Sports, quand la nuit tombera, alors elle pourra peut-être craindre l'étreinte de la mort.
Mais pour l'heure ?
Oh !
Pour l'heure elle se sait insaisissable.

"Je pense que Wilds et Trappers auraient beaucoup à apprendre l'un de l'autre. Mais quel que soit le résultat, je vivrai demain, Hadès, avec ou sans vous. Ou au moins, jusqu'aux Hunting Sports. Et puis, j'ai l'habitude de jouer avec vos chasseurs et vos mangeurs d'enfants. J'échappe à la mort depuis longtemps."

Pas de Seigneur ici, puisqu'il la défie.
Elle ignore ses capacités, n'a attendu que les ouies dires à son sujet.
Mais qu'importe : Celsius se sait rapide.

Chien présent :

Il fait bon, sous cette tente.

La température est idéale pour Celsius. La major n'a jamais été véritablement sensible aux hautes températures.et ces pommes et ces raisins qui croquent sous les dents l'aide à ne pas être trop distraite. Alors, elle en profite un peu de leurs bienfaits ; comme souvent, son raisonnement est scientifique. Elle sait que son cerveau ne marchera pas sans un minimum d'apports.

Hélas pour elle, toute chose sur cette Terre ne peut s'expliquer logiquement.

Même...Hades et ses charmes.
Hades oui, et toutes ces petites démonstrations qui ont lieu là, juste sous son nez, comme une tentation ou un appel à croquer dans un tout autre genre de pommes...

Ses lèvres entrouvertes, Celsius admire. Ou plutôt, elle n'essaie de ne pas admirer, en tentant tant bien que mal de cacher son intérêt - malencontreux !- pour les effets que provoquent la chaleur et la fraicheur sur son invité...

Mais elle n'a pas le choix.
Hades ne lui donne pas le choix.

D'abord, il y a ce premier bouton qui révèle les clavicules, charmantes mais désinvoltes, sur ce Roi. Le geste laisse parler l'imagination; pour peu que l'on prendrait le temps d'essayer de se faufiler sous cette chemise...
Puis cède un second bouton, et un troisième, ainsi que cette cravate qui tombe dans son esprit comme une nuisette au sol. Pauvre Celsius, elle ne peut que déglutir car ils en appelle ici à quelques obscures pensées salaces.
Vient enfin cette main, plus bas.

C'en est trop, même pour elle.

Aussitôt, le dogue noire à ses côtés se relève pour tenter de trouver une position plus confortable sur son derrière maigrichon. En vain. Il initie alors une véritable litanie de plaintes et de gémissements stridents, répétés. Ses oreilles recourbées sur son crâne, la bête -normalement la plus obéissante et portée sur le devoir de tous ses Black Dogs- semble au moins autant souffrir que sa jeune maîtresse aux joues plus rouges qu'une pivoine...

La gêne est à son paroxysme.

Celsius s'éparpille.
Ses yeux s'écarquillent.

"Seigneur Wild...C-C'est...surprenant." Indécent! Inattendu pour un premier contact et une négociation. Malheureusement, la tension est si grande et son coeur palpite si fort qu'elle n'arrive plus à former ses phrases. "Enfin, je ne m'attendais pas à ce que vous soyez...aussi ouvert d'esprit."

Celsius a envie de s'enterrer vivante, mais elle se rassaisie. Au moins pour son Roi ; et si Hades veut jouer dans cette cour, alors elle ira dans son sens. Et puis, à défaut d'être un échec, ce jeu n'est-il pas au moins distrayant ? Un verre à la main, elle se penche sur cette table, comme pour lui faire une confidence.

"Qui sait ? Ordre, Anarchie...Mélanger les corps des concepts est toujours un phénomène...excitant et plein de leçons. Ses yeux de jades s'incrustent dans les siens, mutin et pétillant de leur aura mutante. "De l'appréhension, il y en aura certainement...surtout la première fois. Mais nous, Trappers, aimons être un peu surpris dans le fond. Ce n'est qu'en étant bousculés dans certains habitudes que nous réfléchissons davantage, et prenons mieux les choses en main...De notoriété, vos soldats sont bien bâtis, endurants et parfois plus efficaces quand il n'y a plus d'espoir. Ils n'hésitent pas à embrasser leurs passions, mais ils manquent de patience et portent leurs coups trop vites. Mais peut-être que je me trompe, en l'absence d'un ouie dire ou d'une démonstration."

Un sourire narquois, sur ses lèvres qui se trempent dans l'eau. Celsius n'est pas fière d'elle mais elle se savait vivre un instant magique et mémorable. Un ragot ultime, au détour d'une bonne brochette de salamandres grassouillettes et d'un bon feu de camp.

"Nous sommes complémentaires, sur cet aspect. L'instinct et la Liberté sont des valeurs initialement présentes ou désirées chez beaucoup d'hommes. Alors peut-être qu'un jour, oui, j'embrasserai ce côté sauvage dont vous parlez tant..."

Les bras croisés, de nouveau maîtresse de ses mots, Celsius soupire cette fois-ci.

"La question, c'est plutôt de savoir si les vôtres sont prêts à changer ? A penser plus loin que leur coup de machette, et suivre une réflexion plus poussée ? Comprenez que nous sommes de nature prudente, que nous aimons que nos coups d'avance importent et que nous ne cédons pas si facilement à la panique."

Après tout, l'Intelligence, elle, se consolidait avec la Patience et l'Expérience.

Chien présent :

Lentement, son regard coule sur son interlocuteur. Le Négociateur.
Le Souverain, là. Celsius en aurait presque oublié son identité à force de perdre son regard sur cette pomme d'Adam, cette machoire carrée et bien tracée, ces cheveux blonds et puis cette main...Qui...

Qui...

Mais que fait-il au juste ?

Il ne défait tout de même pas sa ceinture sous son regard, si ?

...Si?

La pauvre major manque de s'étouffer dans sa soif. Mentalement, Celsius se sent mourir de gêne. Ces allusions à embrasser ses passions, sa liberté...N'était-ce pas de trop ? Elle n'entend pas sa remarque, sa tentation sur sur sa véritable nature, et se contente de détourner son regard légèrement, brièvement.

Mais la Trapper est aussi une femme têtue ; elle croise les bras et ne compte certainement pas céder à ses intimidations, quelles qu'elles fussent. Forte de ces convictions, les intérêts de toute sa faction lui reviennent en mémoire et elle ne peut empêcher quelques paroles lui sortir des lèvres.

Après tout, quand bien même les passions sont un terrain connu pour elle, son sang et son allégeance ont toujours appartenu aux Trappers.

"La liberté, c'est important. Mais cela rend aussi fainéant, et innover...Est important. Cela dit...Je suppose que les prochains Hunting Sports parleront d'eux-mêmes."

Avec plus d'assurance, Celsius observe le Souverain se lever de sa chaise, prêt à prendre quelques pas en direction de la sortie malgré cet accoutrement pour le moins défait.
Quelle étrange conversation...Imprévisible, à tout le moins.
Tout comme son Roi et sa manière de faire ses sorties de scène ; la jeune femme ne tarde pas à remarquer la ceinture qui trône en maître sur le bois de la table.
Un sourire aux lèvres, il fallait bien avouer qu'il avait eu le mérite de finir sur une note...d'amusement de sa part.

"Il serait bien difficile de vous oublier, Seigneur Hades. Vous recevrez une missive de ma part, d'ici quelques temps et une fois que le Roi se sera prononcé à cet égard." Ne serait-ce que pour lui accorder un semblant de réponse. De préférence, cohérente ;  c'est ce que la Major désire au plus profond d'elle. "Je vous remercie d'avoir pris le temps de converser avec nous."

Après tout, Celsius n'est pas dupe ; elle sait que l'initiative a dû demander en ce brin d'homme de mettre de côté -même un bref instant- son égo.
La patience est néanmoins de mise. Sitôt que ce Roi prend la sortie et disparait sous les toiles en compagnie de ses soldats, la Major adresse elle-même un regard interrogateur à un autre homme, lequel lui rend aussitôt une expression confuse. Il n'est pas difficile de lire dans son regard les paroles qui fâchent et qui transpirent: "Le Roi vous a-t-il dragué ? Et avez-vous répondu à ses flirts ?"

"Ce n'est pas ce que vous croyez...Pas un mot au Roi à ce sujet, tsss..."

Un froncement de sourcils de la part de la Belle cesse pourtant tout commentaire pour cet unique témoin, qui ravale alors sa curiosité pour mieux revenir à ses tâches communes. Sa chaise glisse et elle se lève enfin de son siège, non sans faire résonner un sifflement harmonieux et expert en direction de son chien. Maître comme familier prennent alors la sortie à leur tour, prêts à retourner en lieu sûr.

Chez eux.

Chien présent :