Après un échange de message, c'est un rendez-vous qui est pris. Dans mon esprit, cela sonne ainsi. Et quand le jour J arrive, je m'apprête. Sans en faire trop. Des vêtements qui supportent le voyage, dans lesquels je suis à l'aise. Des cheveux coiffés qui seront ébouriffés par la route. Des chaussures pour monter le cheval. En résumé, une tenue normale.

Et lorsque j'arrive en terre neutre et que je le vois, mon coeur s'affole. Je m'avance vers lui en abandonnant mon cheval à un arbre et je m'arrête à quelques pas de lui. Je le détaille et je me sens soulagé. Je le regarde et mon ventre se tord. Je l'observe et une angoisse muette et inconnue s'envole.

J'esquisse un sourire à ses salutations.

- Salut, Mars. J'ai l'impression que ça fait une éternité. Tu as l'air de bien te porter.

Et c'est un soulagement. Un réel soulagement, et cela, je ne le comprends pas. Car la dernière fois que je l'avais vu, tout allait bien. Aussi bien que Mars qui hurle et me coince contre un murs et craque.
Je détourne le regard. Ce moment que j'attendais tant est étrange. De part mes sentiments, mais également la situation actuelle, autant celle due à la disparition de I.A. que celle résultante de mes aveux lors de notre dernière soirée. Je me mordille la lèvre inférieure et triture mes mains nerveusement.

- Le point positif, c'est que tu n'as plus à craindre que je te touche...

Une certaine forme de torture pour ma part.

Ses quelques mots captent toute mon attention. Mon visage détourné se tourne vers lui. Je cligne des yeux. Ma missive.... Quelle missive ? Non, non, non. J'avais effectivement écrit un truc un soir, mais... Je n'avais pas eu de réponse. J'avais envoyé une lettre vide... Je sais que non, je sais que je me voile la face. J'avais même songé que le destinataire n'était pas le bon, ou qu'il ne l'avait jamais reçue. Et pourtant, il se tient devant moi, me parle de ce moment, et me demande des explications. Mars sort une lettre de sa poche et me la tend.

Je tends le bras pour prendre ce bout de papier. Je relis les mots que j'avais écris. Le rouge me monte aux joues. La honte s'empare de moi. Mon coeur bat. Mes envies de m'enfuir font rage, mais je reste debout devant lui, les yeux rivés sur mes mots.

- Je.... J'avais bu... Et je voyais tous les autres êtres ensemble. Et je... C'est écrit. Tu me manquais. J'aurai pu tout plaquer et venir si nous n'étions pas cantonné dans nos frontières...

Je relève mes yeux sur lui. Mes yeux dont la couleur ne se fixe pas. La météo n'existe plus. Ma mutation en dépendait. Sans soleil, ils ne sont pas mauves. Sans pluie, ils ne sont pas orangés. Sans brume, ils ne sont pas bleus. Peut-être que si j'allais chez les wilds, là où il reste de la neige, ils deviendront verts ?

Le bras qui tient la missive se baisse. Je prends une profonde respiration.

- Tu as besoin que je t'explique quoi ... ? C'est dans le même sens que notre dernière rencontre au WhiteLand... Quand je pense à toi, j'ai le coeur qui bat. Quand tu n'es pas là, tu me manques. Quand je me sens seul, c'est vers toi que mes pensées me ramènent. J'ai des sentiments pour toi que je ne devrai pas avoir, à cause de nos factions. Parce que ça rend tout compliqué. Et pourtant, je les ai.

Je déglutis et lui rend la lettre, car c'est la sienne maintenant. Car l'avoir dans mes mains me rappelle l'état de cette soirée-là. Parce que je ne veux pas qu'il voit les tremblements léger qui agitent ma main.

- S'il faut que je le dise plus clairement... C'est gênant, parce que j'ignore ce que tu penses de moi...

Une inspiration pour du courage et mon regard ne le quitte pas, car je ne souhaite pas être lâche en pareille annonce.

- Je t'aime.

Mon coeur bat à tout rompre, tant que je ne sais pas si j'ai murmuré ou si j'ai parlé normalement. Il bat dans ma poitrine et dans mes oreilles.
Faire une déclaration est rare. J'ai toujours eu pour habitude de conserver en moi ce que je ressens, pour ne pas gêner les autres, pour ne pas que la relation change, pour ne pas les perdre.
Et c'est pour ça que l'angoisse en moi monte.

Je lis son inquiétude sur son visage. Est-ce que c'est à cause de ce que je raconte ? Sa question me fait comprendre que non, mais que c'est du à l'observation qu'il a eue de ma personne. Et cela me touche, mais ne m'arrête pas tout de suite, car il faut que je parle jusqu'au bout.

Il reprend la lettre dans cette main qu'il avait arrêté au milieu de son geste, puis...

La surprise de son contact, de la décharge. Je serre les mâchoires le temps de la douleur.

Les idées remises en place ? Je le regarde sans comprendre, une de mes mains se pose là où il avait posé la sienne, calmant ainsi les cheveux rendu électriques avec le choc. Et là, il déballe des choses qui me semblent invraisemblable. Je pince les lèvres alors que mon coeur se serre suite à ce rejet tacite et que mon ventre se tord avec certains de ses dires.
Je serre les poings et les deux viennent heurter son torse, dans un geste de refus, malgré la nouvelle décharge qui ne dure que le temps de le frapper sans y mettre toute ma force. Décharge que je ressens malgré mes gants. Pourquoi ne sont-ils pas anti-électricité.

- Ne dit pas que tu es voué à mourir au combat. Je ne le supporte pas.

ça me donne envie de hurler, cette simple pensée. Elle me donne envie de pleurer et c'est elle qui me tord le plus le ventre.

Mes bras retrouvent leur alignement le long de mon corps.
Mon regard reste sur le sien, malgré l'envie de le détourner.
J'ai mal du rejet. Peut-être davantage que des décharges.

- Parce que tu crois que je contrôle de qui je tombe amoureux ? Ce serait bien plus simple si c'était le cas...

Je déglutis. Je finis par détourner le regard et baragouiner des mots qui se perdent.

- Je sais bien que... ... ... Tu comptes aussi pour moi...

Si je peux seulement m'accrocher à ces mots-là, alors je le fais. Si je peux au moins avoir cela, alors ça me convient.

Je baisse la tête vers nos pieds afin qu'il ne lise pas la tristesse dans mon regard trouble qui s'humidifie.

- .... Pour mes yeux... non, je n'ai pas mal.... C'est juste l'absence de météo...

Et quelle excuse trouverai-je pour ma voix qui s'éraille ?

Alors que je me retiens de craquer, il me fait une demande. Pour n'importe qui, elle serait dénuée de sens. Je m'essuie les yeux pour effacer les traces plus visibles de mon implication émotionnelle.

- Tu es  sûr ?

Parce que moi, non. J'ignore ce que je vais voir. J'ignore sur quoi je vais tomber. Mais je sais aussi que c'est un moyen pour me faire passer ce qu'il a vécu, ce qu'il ressent, de partager ce qu'il pourrait ne pas arriver à dire. Comme il ne bouge pas et que le collier est toujours offert.

Je retire alors mes gants, même si un seul aurait suffit, et les laisse tomber au sol. J'effleure du bout des doigts avant de le prendre pleinement en main.

Les images et les sensations s'emparent alors de moi.


La panique, la peur, l'amour, l'envie.

L'anéantissement, la douleur, la dévastation.

Une envie de douceur, infime, balayée par la rage.

Une rencontre.

Des contradictions dans les envies.

L'acceptation d'un amour.

De la négativité, forme de culpabilité. Du dénigrement de soi.

Un attachement et une considération inattendue.


Mon coeur éclate entre douleur et tendresse.
Mes larmes, je ne les camoufle plus en baissant la tête.

- Pourquoi tu me fais pleurer, sérieux... C'est douloureux...Ce que tu m'as fait voir...

Même si ce n'est pas lui qui l'a décidé, ce ne sont que les éléments récents de sa vie.

Je lâche la médaille, tremblant d'émotions contradictoires. Je recule d'un pas et m'enroule de mes bras.

- Je n'aime pas être empreint des émotions des autres après une vision... Même si ça me permet de les comprendre.... Je ne sais pas si... Si c'était une bonne chose... J'ai l'impression d'être... Déchiré entre toi et moi...

Je comprends son point de vue. Je saisis mieux ses paroles. Je sais la cause de ce rejet, je la comprends.
Mais j'en souffre, car il y a mes propres émotions, mes propres sentiments.
Une dualité, le temps que l'effet du voyage dans son passé s'estompe.

Je m'accroupis sur le sol, recroquevillé.

- Je m'en fiche si tu es avec un autre.

C'est faux. Mais je saisis les raisons de pourquoi lui.

- Mais n'hésite plus à m'écrire ou à venir me voir.

S'il te plait. Mais pas tout de suite.
Quoique.

- Cette fois-ci... C'est moi qui aimerai pleurer sur ton épaule. Mais... C'est impossible ici...

Référence à cette petite pièce où les adieux nous avaient déjà fait souffert.

Or, tout ce que je peux serrer actuellement, c'est mon être bouleversé.

Une inspiration pour se calmer.
Encore et encore.
Quel spectacle désolant j'offre là...
La peine subsiste et subsistera encore, mais la sensation des visions passées s'estompe et m'allège.

Je souffle longuement et essuie mes yeux une nouvelle fois.
Lentement, je me redresse et arrive à lui refaire face.
Prendre sur moi, encore un peu.

- Pardon... Les retours sont toujours... Conflictuels.

Le mot est faible.
J'ai toujours mal vécu les retours de visions.
Elles laissent toujours un quelque chose qui m'ébranle pendant de longues minutes, même lorsqu'elles semblent inoffensives.

Je pose mon regard sur lui.
Lui qui n'a pas bougé.
Lui qui reste là.
Lui qui n'est pas parti.
Lui qui...

- Hé. Mars.

Je veux capter son attention.
Je tente de sourire, même si c'est tristement.

- Tu n'es pas un monstre.

Parce que c'est qu'il m'a dit. Parce que c'est sûrement ce qu'il est en train de penser à nouveau.

- Et tu mérites d'être aimé. Peu importe par qui. Car chacun le mérite.

ça aussi, il l'a dit et il doit le penser.

- J'ai mal, mais... c'est normal... Et je peux pas t'en vouloir complétement. Comment je peux le faire en te comprenant ? Si je suis important pour toi, d'une manière ou d'une autre, ça compte déjà beaucoup à mes yeux.

La sincérité de mes paroles me fait lui offrir un sourire plus vrai.

Je lève ma main gauche entre nous, comme pour venir lui caresser la joue. En revanche, la distance, même faible, ne le permet pas. Cela ne m'empêche pas pour autant de lui caresser la joue, avec cette extension de moi-même.

Un contact glacé sur la joue de Mars, léger et aérien, comme une caresse invisible.

Je ne le ressens pas, mais le contrôle, et par la réaction de Mars, je saurai si je l'ai touché.

- Laisse-moi juste le temps de ne pas t'imposer ce que je ressens.

Je voulais m'adapter à lui, aller à son rythme, mais je sais que, maintenant, le rapport est inversé.

- J'aurai aimé pouvoir sentir ta chaleur... Mais il n'y a que proche d'Elle où cela semble possible sans conséquence...

Un murmure, presque supplique, aveu d'une envie réconfortante, dans un seul ailleurs possible à ma connaissance.