I'm getting higher You're tripping lower And when I say it's done, it's freaking over
Lore & Résumé.
- "c'est une
fille"
I-X
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Lettre à XXXX J'ai eu l'espoir ou peut-être l’ineptie de penser que l'héritage serait relevé par un enfant de sexe masculin. Il est regrettable que mon épouse n'ait su adhérer à tel projet. Les desseins étaient pourtant assez simples à comprendre, la politique n'est pas une affaire féminine. Non que je sois profondément misogyne, mais d'expérience, d'histoire et de vécu, la femme a toujours œuvré dans l'ombre tandis que les hommes se sont réunis et ont collaboré. C'est ainsi un schéma de vie que quiconque peut contredire mais les faits existent et les relations ont été tissées dans la pénombre intime et confidentielle entre hommes. Une femme dans un cercle masculin, tout autant qu’un homme dans un cercle féminin, n’a pas sa place. Nécessairement désavantagée par son genre, la femme des cercles politiques n’aura pas le poids ni la voix pour se faire entendre, encore moins se faire écouter. Je ne te cache pas ma déception à sa naissance lorsque les médecins ont annoncé son sexe.
Je l’aurai adorée si nous avions eu un fils, un enfant capable d’assurer mon héritage durement mérité. Mon épouse en a été d’un autre avis, car par la suite nous avons eu un second enfant; une fille également. Je me demande si ce malheur n’est pas une affaire prédéfinie par un quelconque destin auquel je ne crois pas, ou pas encore. Tu me diras, je pourrais, une troisième est née. Certains jours, j’ai l’impression d’être dans un internat de filles et d’en être le directeur. Elles ont des tempéraments. Elles ont des sentiments. L’ainée est téméraire et pourtant, arrive à se prendre les pieds dans le tapis. La deuxième est timide et réservée tandis que la troisième est une boule de colère que nous n’arrivons pas à canaliser. Mon épouse et moi-même avons l’impression de vivre des actes théâtraux tant notre famille est ubuesque.
Alors voilà mon cher ami, tandis que mon âge avancé ne me permet plus de croire en un mâle au sein de notre famille, je dois confesser que mon échec génétique nous amène à la situation où nous devrons élever une calamité dans l’espoir de nous unir tous. La situation est désastreuse en l’état mais l’enfant est douée d’une ténacité qui peut-être lui ouvrira des portes. J’espère qu’elle s’apaisera lors de son séjour sous tes soins. Tes enseignements auront, j’en suis sûr un effet positif sur ses maladresses et qui sait, peut-être saura-t-elle faire fi de son genre au profit du bien commun. Elle sera au moins utile en étant de bonne compagnie…
Tout du reste, je te confie ma fille aînée. La renommée de notre nom repose sur tes épaules, et j’en suis sincèrement navré, mais c’est humblement que j’avoue mon incapacité à élever une fille en ce sens. Qu’elle devienne agréable, ce sera là sans doute sa seule chance de pouvoir influer quelques grandes têtes de ce monde.
Mes sincères salutations,
XXX XI-XV
- Cher ami,
Ta fille est une entité paradoxale. Je suis un peu désappointé par sa capacité à être aussi peu habile et à comprendre si vite. Sache seulement qu’elle apprend rapidement et qu’elle se montre impatiente de rentrer. Cette lettre pour t’informer aussi qu’elle a le tempérament impétueux, presque impertinent. Il faudra sans doute veiller à ce qu’elle ne dépasse pas ses devoirs mais de manière générale, elle est agréable et de bonne compagnie.
Je continue à oeuvrer pour son éducation de jeune fille, j’ai commencé la partie politique mais cela lui donne des idées. Je te laisserai reprendre cet enseignement et la cadrer à ce niveau-là. Avant-hier, elle est revenue avec un hématome à l’oeil et les poings abimés. Ce n’est pas très féminin mais nous avons repris la situation.
Bien à toi,
XXXXVI-XVIII
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Lettre à maman Je fêterai mon 18ème anniversaire à la maison. Je reviens, je reviens différente. Certains diront que j’ai mûri, que j’ai gagné en sagesse, que je me suis assagie, que je suis de bonne compagnie. Mais maman je crois que je suis déjà fatiguée des injonctions et des sentiments que l’on me prête parce que je suis une fille et que je dois être à une place définie. Je me suis battue, pas seulement mentalement mais physiquement aussi. Papa a souhaité me punir à travers une lettre envoyée. Tu sais, je ne comprends pas qu’on souhaite me réprimander pour avoir voulu défendre mon existence.
Je rentre, maman. Et si j’ai changé, je sais que tu restes immuable. Intangible à ta vie d’épouse. Peut-être que cette situation te convient et que tu te complais dans ce rôle de femme. Je ne serai pas comme toi. Je ne le suis pas. Je ne serai pas cette femme sage aux ambitions qui ne dépassent pas son foyer. J’ai compris beaucoup de choses, je continuerai d’en apprendre davantage, de mon genre au monde, du monde à l’univers et de l’univers à la politique, de nouveau au monde et alors de ma place. C’est un cercle maman, tout est rond dans un système; et le circuit ne se ferme jamais. Tout se rencontre, rien ne se coince. Et moi je ne serai pas coincée dans un rôle, je ne jouerai pas la pièce de théâtre de papa; ni de quiconque. Je ne jouerai pas. Je vivrai maman, je vivrai, je vais vivre, je veux vivre maman. J’ai compris beaucoup de choses.
Beaucoup de choses.
J’ai compris ce que je ne voulais pas.
Mais tu me diras, à toujours nier, qu’y a-t-il de bon ? Il y a beaucoup de choses.
Beaucoup de choses.
Et des oeillères maman, elles sont les tiennes. Ne me les transmets pas, ni à moi ni à mes soeurs; celles de sang, celles de coeur; celles petites et grandes, conscientes… je ne veux pas hériter de tes peurs, je ne veux pas hériter des ordres patriarcaux. Je ne veux pas penser à tous mes gestes.
Tu sais maman, je continuerai de renverser mon café sans le vouloir, je nettoierai mes taches mais un jour, ce seront les autres qui attendront que je fasse tomber mon café pour le ramasser à mes pieds. Ma maladresse sera souhaitée, et on me remerciera d’être moi et d’en être là.
Maman je rentre bientôt. Je sais que tu pleureras de me retrouver mais ne sois pas triste si mes yeux sont arides, ce n’est pas contre toi. Je vois juste le chemin long à parcourir, celui infini du tourbillon de la vie, je n’ai pas encore le loisir de le faire même si j’aimerais me caler contre une épaule pour m’épancher. Mais j’ai choisi cette mission. Je reprendrai le chemin de papa. J’ai des ambitions. Je suis différente. Je suis grande, je suis maladroite. Je suis une fille qui devient bientôt femme. Je suis une personne avec ses qualités, ses défauts, je suis une personne qui change et qui évolue. Je suis quelqu’un mais je suis avant tout une femme qui arrive. J’ouvre grand la voix.
Je t’aime.
PS : un gâteau au chocolat ira très bien.
XXX
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Lettre à papaJ’écris ce discours car tu es parti, papa. Tu es parti, quelle litote, n’est-ce pas ? Ton départ a mis fin à 30 ans de tutelle. 30 ans que je te connais, papa. 30 ans que tu ne m’as jamais vraiment connue. Je ne vais pas faire ton procès, ce discours je ne te le dis qu’à toi, j’en ferai un autre plus révérencieux aux obsèques, je t’en prie ne te retourne pas. Ces 10 dernières années, tu m’as fait grâce de tes conseils, de ton savoir et tes connaissances en relations publiques et malgré tout je me sens encore désarmée face à ce qui m’attend. Je pensais être préparée mais peut-être que ne le suis-je juste pas pour ton départ.
Nous étions différents, c’est certain. Mais nous nous ressemblions tout autant; nous avons des ambitions. Maintenant ne restent plus que les miennes. Maintenant je te succède papa.
Tu sais, je n’ai jamais cessé de t’aimer. Dans nos différences, je crois que tu étais la personne dont j’étais la plus proche. Tu me manques déjà même si je te remercie de m’avoir laissé la main de la diplomatie. Je te décevrai sans doute depuis là où tu seras perché mais, tant que moi, je ne serais pas déçue, j’estimerai que j’avance bien. Ne me mets pas de batons dans les roues, je ne serai pas celle que tu voulais que je sois, et en toute honnêteté, je ne changerai pas avec cette période de deuil. Je pleurerai ton départ mais je continuerai mon chemin.
Nous sommes ainsi tous les deux, pugnaces.
Je serai la femme en qui tu n’as jamais cru, je serai la personne qui reprendra ton travail. J’essuierai les larmes de maman avec mes ongles en gel de barbie, je cajolerai mes soeurs contre mes gros seins; je viendrai à ton enterrement en noir et mes talons de 12 cm. Je sais que tu as voulu me faire plier aux jeux du patriarcat mais je ne joue que dans le mien. Et ce sera en toute honnêteté, entièrement moi, que je te dirai adieu, papa. C’est moi. Moi, moi seulement moi, moi entière, papa, moi qui reprends le jeu en main. Et si je n’ai pas ta paume de fer, j’ai des mains de tigresse.
Je veillerai sur les filles. À ma façon.
Je te remercie d’avoir tant tenté m’affaiblir et m’amoindrir. Aujourd’hui j’ai ma voix.
Je te dis adieu, papa.
Je t’aime.
Certains diront que c’est la fin. Moi je dis que c’est le début. Voilà 3 ans que j’ai repris un système. Je ne prétends pas défendre un féminisme universel. Je prétends vivre une vie, c’elle que j’ai choisie. J’ai deux soeurs. Mais j’ai une multitude de soeurs. Tout autant de frères. J’ai des ennemies. J’ai des ennemis. J’ai des joies. J’ai des peines. Entendez bien ce que je suis. Beaucoup de choses.