T'es plus bas que terre.
Personne ne pourrait te faire dresser le moindre sourire. Après tout, tu venais de perdre la quasi-totalité de ce qui te rendait heureux : les vigilantes, et surtout, lui. Le fait que vous aviez réussi à outrepasser vos peurs, vos rancoeurs et vos doutes, avait prouvé combien vos sentiments surpassaient tout le reste.

Pour autant, rien n'était réglé.

Tu venais de perdre en un rien de temps le droit de voir Carbone sans en souffrir, et aujourd'hui, tu devais quitter ta famille. Aconit, et son caractère imbuvable et à la fois intrigant ;  Samael, ton acolyte de bataille dont la frustration te gagne davantage depuis à l'idée de ne plus composer avec lui ; Viviane, et son amitié pure aux effets de baume protecteur ; Lime, ton petit ange soigneur qui n'avait jamais eu de cesse de te regarder avec une admiration flatteuse ; Winter, ce sale garnement que tu aurais aimé protéger des autres pour continuer à le charier un peu plus ; Neon, une belle femme dont le grain de folie t'avait toujours amusé lors des soirées de beuverie ; Lightning, un parent de susbtitue que tu avais souhaité connaître plus ; Seven qui, l'air de rien avait réussi à nourrir ce sentiment d'affiliation aux vigilantes depuis le départ de Strife... et enfin Autumn, dont la disparition t'avait tout de même affecté en dépit de tes sentiments retrouvés pour Carbone.

Tout ça, c'était la merde.

Et ton seul lot de consolation en dépit de l'énergie à dépenser pour arranger les choses, reposait sur le seul fait de retrouver Dolly. Car à elle seule, elle composait tous ses visages que tu avais connu chez les Vigilantes. Elle était aussi protectrice que grincheuse et cynique. Douce et à la fois complémentaire.

[...]

En levant les yeux sur les marches du QG, elle semble t'attendre.
Quelle ironie quand tu étais à deux doigts de t'enfermer dans la chambre à Carbone.

Seulement, le désir de la confronter est bien présent. Et pour cette seule raison, tu avances vers elle d'un pas déterminé et ferme.
Quand enfin tu arrives à sa hauteur, que tu surplombes de la tienne, ton regard doré s'accroche au sien sans faire montre de la moindre once de remord.
Au contraire, tu assumais tout :

- Tu m'as attendu soeurette ? C'est très aimable à toi.
Mais où sont mes tartelettes à la fraise, hum ?

Ironiser était le pire choix à faire. Mais c'était bien voulu, car tu la connaissais par coeur. Et tu préférais encore une dispute baigné dans la rage, plutôt que dans les larmes.
Car, au-dela de Carbone, la voir pleurer te crèverait le coeur.

Petit sourire en coin.
Comment pourrais-tu le dissimuler alors qu'elle répondait à toutes tes attentes. Plus prévisible qu'elle, tu meurs.
Et t'es pareil. Terriblement son pendant masculin.
Vous pourriez très bien ne pas parler, et vous échanger des regards que cela reviendrait au même. Vous vous comprenez avec une facilité étouffante, et pourtant, le paradoxe veut qu'elle ne t'ait pas comprise par le passé.

- Tu..

Elle te coupe la parole, emportée par l'effervescence de ces retrouvailles passionnées. Tu fais converger ton énergie vers un semblant de maintenue alors que ton sang commence à bouillir sous les mots acérés de ta soeur.
Quelle peste quand elle s'y met.

Et naturellement, tu lui saisis les deux bras pour tenter de neutraliser sa colère :

- Tu peux pas attendre un peu avant de tout balancer, on est pas tout seuls.

Tu n'étais pas à l'aise d'informer un seul pequenot de vos échanges.
D'une téléportation, tu vous transportes ailleurs, avec ou sans son aval. Elle sait que tu ne l'attaqueras pas ; elle peut-être par contre, et tu te laisserais faire.

D'inctinct, vous aviez atterris dans ton ancienne chambre. Une chambre dans laquelle tu ne voulais pas revivre, préférant largement celle de Carbone.

Mais peu importe les désirs actuels, ta concentration repose sur elle. Tu la pointes du doigts sans plus de cérémonie, et tu hausses un peu le ton :

- Tu comprends encore rien, hein ? Quand est-ce que tu comprendras pourquoi je t'ai quitté, pourquoi tu m'as blessé ? Dis-le moi, dolly, DIS-LE MOI !! Je me suis déjà expliqué auprès de Carbone, et ces deux ans de merde, elles ne sont pas dûes qu'à moi ou à lui, bordel !
Tu m'as ABANDONNÉ en premier, toi qui es censée être ma grande soeur, qui étais censée m'écouter toujours, qu'est-ce que tu comprends pas entre le devoir de choisir ta moitié et un ami, vraiment ? Arrête de faire comme si tu étais stupide, ca me rend dingue.

Lorsqu'elle aborde l'idée de tuer Carbone, ton regard se baisse instinctivement. L'idée même aujourd'hui d'imaginer le tuer était inconcevable. Pire, si tu l'avais vraiment tué, tu n'aurais peut-être pas eu conscience de ce que tu aurais perdu.

Tu te fais pensif.
Sans en avoir le temps car elle débite.

Et malheureusement pour toi, lorsque son visage se déchire sous l'indignation et la tristesse, son coeur se ressert dans l'étau de la culpabilité.
Putain de culpabilité, elle aura eu ta peau, à force.
Et voir ta jumelle devant toi, les larmes aux yeux, ça ne peut que te troubler, t'enliser dans cette spirale d'infinie tristesse.

... Car la réalité c'est que tu l'aimes.
Et qu'elle te manque, tout le temps. Que vous deux, c'est les deux doigts de la main. Comment tu as su vivre sans elle ?

Elle est forte au final pour te retourner le cerveau.
Parce qu'elle te fait comprendre que tu avais faux sur toute la ligne. T'es qu'un blaireau, hyste. Voilà ce que tu as perdu... la mort d'Ivar t'a tellement chamboulé l'esprit. Tu te laisses aller finalement sur le rebord de son lit, perdu.

Et tu réunis tes mains avant de poser ton front contre tes deux pouces joints. Le visage fermé aux réflexions. Tu as tort.
TU AS EU TORT.

Peut-être que les regrets t'empêchent tout bonnement de répondre, là tout de suite. Alors tu t'enlises dans le mutisme, la gorge nouée, et ses paroles tournent. Elle a tellement sauvé la situation.

T'encaisse le coup de la chaise sur toi, tu grinces juste des dents à la douleur, qui au final n'est que superficielle. C'est au coeur que t'es blessé.

- Je suis desolé.

T'es resté dans cette position prostrée, les yeux fermés. Ca te bouffe de l'avouer, mais tu as eu tort. Depuis le début.

- Je n'étais pas sûr de moi, mais la perspective qu'il... qu'il l'ait tué, m'a fait vrillé.

Tu aimes marquer le temps par des silences, avant de poursuivre. C'est là que tu redresses ton visage pour ancrer ton regard jaune au sien. Tout aussi jaune que toi.

- ... Dolly. .. Merci d'avoir empêché ce massacre. Je sais qu'aujourd'hui, en ayant ouvert les yeux sur mes sentiments, j'aurai perdu mon frère et l'homme que j'aimais ce jour là. ... Par fierté j'ai... j'ai juste pensé que tu me bravais.
Mais finalement ...

T'es six pieds sous terre. Et l'étau autour de ta gorge module légèrement ta voix :

- .. tu nous as tous sauvé. Au détriment de ta santé.

T'as donné.
T'as déjà tout donné lorsque la vérité à éclaté. Comment tu pourrais lui exploser dans les mains, contre elle. Tes accès de colère et de violence se sont nichés dans les moments les plus intimes, les plus secrets.
Personne ne devait voir la nitescence de ta haine pour toi-même, pour ce destin méprisable.
Pas même ta soeur ne doit l'appréhender. Qu'imaginerait-elle si elle te voyait détruire tes meubles, perforer des murs... ou blesser des hommes ?
T'es qu'un putain de lâche, tu l'as toujours été alors, comment lui avouer cette part sombre chez toi.

- Me faire chier ?

Le ton qu'elle utilise te braque. Contrarié par ses élans sanguins. Bordel, où es-tu Ivar, quand on a besoin de toi.

- J'ai pas sous-entendu ça, crétine, je te dis juste que tu sois de mon côté lorsque c'est arrivé. Comme je pense que tu aimerais que j'te crois si tu voyais December près du corps mort d'un proche, imaginons maman.
T'as le doute.
Tu l'as toujours ce foutu doute, même quand la raison te rattrape.

C'est quand elle daigne faire un pas en avant, dans cet espoir fou que tu puisses la prendre dans tes bras, ton expression se casse pour laisser entrevoir un trouble incertain, mêlée de douleur.

Lorsqu'elle est assez proche, l'intensité de ton regard prend un tout autre degré. T'es concentré sur elle seule, et rien d'autre ne saurait t'arracher à ces retrouvailles tant espérées. Fantasmées.

Lorsqu'elle sous entend que t'es plus con qu'elle, ton sourcil s'arque, l'air mauvais. Elle est sérieuse ?
... elle n'a peut-être pas tout à fait tort.
Tu prends une profonde inspiration, avec l'envie irrepressible de lever tes doigts sur ces sillons de larmes.

Enfin, elle prend ses aises sur toi, et naturellement tu l'enlaces dans tes bras rassurants, tu l'enlaces si fort que tu pourrais lui concasser les os, mais c'est plus fort que toi. Sentir sa présence, son corps, te rappeler à ces souvenirs intrasèques et profonds de votre naissance commune.

... plus tu y penses, plus tu t'en convaincs.
Si elle mourrait, tu deviendrais fou.

Tu l'enlaces avec une tendresse rare, ta large dextre resserrant l'étau sur ses cheveux.
Tu l'aimes. Ca n'a jamais changé, et c'était la raison pour laquelle ta colère était grande.

- J'aurai pensé à quelques effusions de sang avant de verser dans les pleurs, je t'avoue.