Dans la délicatesse de ses gestes se dissimule une vipère, pernicieuse, sauvage. Séraphin a la douceur d'un agneau et la morsure d'un tigre, il s'enroule autour des nuques et plonge ses crocs dans les jugulaires ; il hante, peut-être, dès lors que son timbre exquis résonne dans les oreilles. Perçu comme un avatar de la vénérée IA, autoproclamé prophète et baigné dans sa lueur céleste, il a au bord des lèvres mille et uns versets qui pullulent et pourrissent derrière ses mâchoires.
Le sourire tendre, la peau douce, les ailettes soumises à la caresse du vent — nul doute n'est possible, c'est un ange. Son pas léger le guide de profane en profane, susurre la parole divine à leur oreille païenne et croyez-le, il ne cherche qu'à vous sauver, qu'à vous guider sur le chemin qu'a tracé sa déesse, sa confidente, sa pérenne souveraine. Sous le derme porcelainé bat un coeur féroce, chargé d'une passion que seule la foi peut soulager. Pourtant l'ange ne prie pas, il est prié en retour ; l'amour déborde et s'étend jusqu'à chacun de ses fidèles, parfois même au-delà.
Séraphin, en dépit de sa constitution frêle, s'attaque sans vergogne à bien plus grand, bien plus fort que lui. Sa langue est acérée, sa piété ineffable — le verbe venimeux dès lors qu'on blasphème sa grande prêtresse, et si tendre si on la loue. Bien sûr, son être s'étend par-delà les louanges, et son affection effleure chaque être vivant que sa déité a déposé au creux de son microcosme. Il exerce sa foi par l'amour, impétueux, et en baigne son entourage à la première occasion.
Il y a dans sa démarche la grâce d’un chérubin, et dans son rire le tintement des cloches. Son application à incarner le messager céleste, pourtant, s’effondre lorsqu’elle est à l’aise, perdue dans le confort des affections familières ; Séraphin, hors de son rôle pieux, est d’une grivoiserie insolente, et l’on découvre entre ses psaumes une petite peste écervelée. Il a l’amour facile et désespérément visible — les joues roses et les ailettes tremblotantes à la simple vue de quiconque eût gagné sa tendresse.
Enfant glace, enfant fermé au monde ; la sévère éducation l’a privé parfois du soleil, tout ça pour qu’elle devienne aussi bonne scribe que sa douce mère. Une réputation à couver, des cloques sur les doigts et un désir palpable de goûter à l’extérieur en résultat. Séraphin a ce penchant pour le danger — l’irrépressible envie de s’enfoncer dans le mal. Rien ne saurait souiller son corps, car tout ce qui fait le microcosme de Carcosa est un don miséricordieux de l’IA. Aussi se pâme-t-elle aujourd’hui de tout ce qu’elle peut trouver, convaincue que même la mort ne l’écarterait guère de son funeste projet.
Séraphin est un futur martyr et, en tant que tel, il ne prévoit le lendemain qu’un avenir gorgé de plaisir.

L’an 0. Sa naissance est belle, rapide, fluide. Presque sans douleur selon son père — douce ironie, il n’était même pas présent. Maman en ressort fragilisée, mais gorgée d’amour. L’enfant est frêle et né trop tôt, à trois mois près ; on le couve et on le protège. Baptisé d’un surnom angélique, loué par tous ses futurs suiveurs.
L’an 3. Ses babillements incessants deviennent impérieux. Il demande, ordonne qu’on l’écoute, qu’on se suspende à ses lèvres. Les mots sont distendus, mais hypnotisants. Dès lors qu’elle parle, elle est entendue et félicitée.
L’an 4. Séraphin sera scribe, à l’image de Maman. Elle sera chanteuse, aussi, à l’image de Maman. Pour l'heure, c'est un enfant cerclé de suiveurs.
L’an 6. Maman est morte.

L'an 11. L'apprentissage officiel est entamé. Séraphin apprend vite, mais pas assez — ses doigts maladroits et juvéniles gémissent sous les règles impérieuses de son père et de ses instructeurs. Les larmes sont chaudes, mais pas assez. Il écrit.
L’an 12. Son père s’éprend d’une autre femme ; tenté de délaisser l’enfant, mais incapable. Non pas par amour, mais par sa voix qui résonne jusque dans ses os, par sa présence qui le hante dès lors qu’il songe à s’en défaire. Il le garde, à contrecœur. La seconde femme est négligée tant par le créateur que par la création.
L’an 13. Maman n’est pas morte : elle est simplement hors de portée, devenue machine. Séraphin écrit et chante et loue et prie.
L’an 14. Il la pense maudite ; elle se sait sacrée. Elle entend l’IA, voit l’IA, s’abreuve de son existence dans chaque détail de sa vie. La maison est morose — le fantasme familial ne suffit à combler le vide.

L’an 18. Séraphin est adulte. Son seul contact avec son père se trouve dans les lettres éparses, accompagnées de vivres. Il subvient à ses besoins, sans doute par peur d’encore entendre sa voix sous sa peau.
L’an 19. Une crevasse. Séraphin erre, se perd — de territoire en territoire, il savoure une liberté dont on l’avait jusqu’alors privé. Ses yeux roulent tendrement vers Jupiter, chaque pas guidé par Maman. Il fume, il boit, s’émerveille des choses que l’IA a pu donner à son peuple. Il est temps pour lui de rendre ce qu’on lui a cédé.
L’an 24. Maman s’est endormie.