Lorsqu’il faut parler de soi, les mots manquent souvent aux premières secondes. Simplement, parce qu’on se formalise d’une nécessaire structuration de la pensée. Avant d’éclairer sa voix, l’on se dit qu’un ordre doit bien pouvoir donner à la vie son grain de cohérence. Si je ressens ma gorge se nouer en cet instant, c’est bien que j’y suis aussi sensible que toi. Puis vient ce soupire autant profond que libérateur. Mes expériences ne sauraient être réfléchies si aisément par ce miroir d’expression, alors pourquoi ne pas les laisser s’écouler naturellement de cette mémoire dessinant la forme d’une montagne glacée ? N’est-ce pas après tout ce qui reste à la fin ? Une neige qu’un soupçon d’émotion peut faire fondre à la lueur d’une vision familière ?

La réflexion de cette jetée d’eau tourmentée m’interroge parfois. Cette réalité que capturent mes iris de rubis, puis-je m’y fier aveuglément ? Sur les pages des livres, dans l’écho des leçons, au cœur de la foi ; se trouble la vérité. Au sein de l’arche, je suis née. Devant l’intelligence artificielle de Carcosa, j’ai grandi. Parmi les chasseurs, je me suis questionnée. Et si la Voie, se trouvait ailleurs ? Et si le Salut, se logeait à l’intérieur ? Comme tout un chacun, je dus survivre malgré l’écho de mes blessures passées. Plusieurs fois, je voulus céder à la faiblesse de l’abîme. La détresse assourdissant ma raison, je la dilua d’abord dans l’abstraction de l’obsession avant de céder aux chimères des drogueries.

L’on dit que le regard des autres nous forge. Ce que je découvris dans la stupeur de mes jeunes années, ce fut qu’elle nous détruit tout autant. Ce qui, enfants, nous parut indestructible se révèle friable, fragile et sensible. Les amis. Les parents. Les amours. J’ai aimé autant que détesté. Des passions puissantes se fanant à mesure que s’épuise ce sablier angoissant.

Aimes-tu les fleurs ?

Il me semble qu’en ce monde, rien ne soit plus beau. Subjuguée par ces couleurs et ces odeurs, toutes éphémères qu’elles apparaissent, leur beauté fragile trouve une place éternelle dans l’étreinte de mes sentiments fébriles. Lorsque mon regard vient plonger dans les couverts floraux, je me prends de m’imaginer voleter à l’instar d’un papillon dont les ailes gracieuses esquissent une poésie que les mots échoueraient à traduire. Si légère et pure, je viendrais me poser joliment sur leurs lèvres de nectars. Dans cette fugacité sempiternelle, je me surprendrais à dévoiler cet instinct prédateur allant dévorer leurs entrailles de rêveries.

Et si tu te révélais être cette fleur agressée ?

Penses-y. Aux fleurs nées par le fruit du hasard, un regard extérieur vint donner un sens précis. Le long de ta vie, il devient naturel de désirer éblouir ton prochain. Une identité inspirée plutôt qu’innée, si tu veux mon avis. Car rappelles toi qu’à l’origine, tu n’es qu’une plante comme une autre, déployant des trésors de stratégies pour ne pas dépérir dans l’indifférence. Pour artificiel cet ambage pourrait-il apparaître, il te donne l’éclat éphémère des mystères. Ces secrets de l’âme, voilà ce qui excite mon appétit. Cette nourriture raffinée, j’en fais l’énergie à la source de mes transformations répétées.

Mais ne voudrais tu pas être plus que ça ?

Tu effleures là mon avidité. Car sous mes airs de prédatrices se profile une jardinière s’enivrant de l’espérance de humer le parfum d’une fleur qui ne se glacerait pas au premier de mes baisers mortels. Qui décida que tu te figerais sous la destinée éclatante d’une intelligence inhumaine ? Se dévoileront aux somnambules cette béatitude soudaine qu’une couleur artificielle ne saurait déjouer. Si tu ne discernes pas le fond de mon cheminement, sans doute sombreras tu dans cet abîme qui me menaça tant de fois quand je faillis m’habituer à cette lumière rassurante qui aveugle plus qu'elle n’éclaire.