Tu « prototypes » encore ? Il y avait cette porte automatique, celle qui captura longtemps ton attention. La dernière fois que j’y suis passé, je la voyais à moitié ouverte avec des étincelles crépitant ça et là. Sur le mur, un boîtier éventré avec cette odeur caractéristique de l’électronique grillé. Par terre, des morceaux de ferraille et ce que tu aimes appeler des composants. Cela vient de toi, pas vrai ?

Que fabriques tu encore dans ton coin ? Plusieurs fois, je t’ai écouté. Tu partais dans des explications dithyrambiques, à me demander si tu comprenais toi-même ce que tu disais. Je sais que cette fois là, je te vexa à relever une contradiction au milieu de ton jargon technique. Ces formulations alambiquées, elles te rassurent ? Tu te dis qu’à souffler le chaud et le froid, tu seras mieux estimée ?

Depuis toute petite déjà, tu faisais des mains et des pieds pour attirer l’attention. Gauche, tu gagnais seulement à te tourner en ridicule. Boudeuse, tu finissais par te renfermer sur toi-même et te livrer à l’obsession des expérimentations douteuses. Dans tes recherches, qu’essaies tu de comprendre au juste ? Cette IA Carcosa, tu l’as souvent en bouche, éclairée d’une admiration douteuse quand on sait quels maux nous avons enduré par sa faute.

Perdre tes parents lors des derniers Huntings Sports ne te suffit pas à te convaincre de la vanité à alimenter cette curiosité ? Plutôt que de désosser nos pauvres installations, n’aurais tu pas meilleur compte à t’entraîner comme nous autres ? Si tu veux mon avis, tu t’intégrerais mieux qu’à toujours t’isoler dans ces recherches absurdes.

Tu peux en impressionner plus d’un à allumer deux ou trois lumières sur tes cartes, moi, tu ne me trompes pas. T’imagines tu que cela te dispensera de soutenir l’effort de la famille ? Dieu sait comme nous dûmes nous armer de patience devant tes caprices. Nous nous disions qu’avec le temps, ça te passerait. Que tu te déciderais enfin à devenir une adulte. À croire que ce qui rentre par une oreille ressort de l’autre.

Tu me trouves sévère ? Je vois bien à ton expression fermée que mes mots ne te plaisent pas. Hélas, pour taire ces voix, il faudrait déjà que je ne sois pas toi. Mes paroles sont tes pensées. Sans doute qu’en te relâchant un peu, tes élans paranoïaques se dissiperaient à l’écoute de personnes moins malveillantes que tu l’imagines. Alors oui, l’excitation t’a souvent fait goûter au retour de bâton. Mais Goat, c’est ainsi que l’on grandit. Pourquoi faut-il que tu fuis tout le temps cette réalité ? Que crains tu exactement ?

Tu t’éloignes des tiens, mais dans le même temps, tu voudrais te trouver près d’eux. Ne vois-tu pas que ton blocage vient de ta propre volonté ? Avant de comprendre cette IA, ne devrais-tu pas commencer par t’intéresser aux personnes près de toi ? Mais ils ne sont pas tes parents… c’est ça ? Au final, tu te dis peut-être qu’ils ne sont pas vraiment morts. Qu’une raison motive cette chose à faire ce qu’elle fait. Que les apparences peuvent être trompeuses.

Quand bien même tu aurais raison, que nos âmes seraient enregistrées quelque part, attendant d’être remises en jeu à l’instar d’une pièce de distributeur, que ferais-tu ? Tu te dis que tu aimerais en changer les règles ? Mais quelles règles proposerais-tu à la place pour encadrer nos vies ? Tu ne supportes pas cette ignorance. Si terribles pourraient être ces secrets, tu te convaincs qu’une existence dénuée de sens ne vaut pas la peine d’être vécue.

Entre nous, je saisis bien comme la jeunesse t’aveugle. Comme si tu pouvais changer le monde à toi seule. Trouver des réponses auxquelles personne n’aurait pensé avant toi. Précisément, ce qui te rend arrogante. Comment veux-tu que tu ne sois pas rabrouée après ça ? Les feuilles qui dépassent sont coupées. Or, tu es terrifiée à l’idée d’être comme les autres. À côté, tu désespères de ne pas plus leur ressembler. Tu ne vivrais pas aussi mal leur désapprobation, autrement.

Reproduire ce que tu vois t’apaise, ça saute aux yeux. Dommage que ton piètre talent te vaille d’alimenter plus ta frustration qu’autre chose. Tu rêverais de leur montrer tes progrès. Leur expliquer que tu es capable, contrairement à tout ce qu’ils pourraient penser. Seulement, chaque fois qu’il te semble approcher de ton but, tout fout le camp entre tes mains. De ces échecs réduisant tes efforts en cendres.

C’est dur, hein ? De ne pas être aussi douée que tu l’aurais pensé avant de commencer. Angoissée, tu en viens à te demander si un jour, tu arriveras à quelque chose, ou si tu ne feras que perdre ton temps. La pensée de leur donner raison te terrorise et c’est bien naturel. Si cette place que tu t’es trouvée ne mène à rien, que te reste-t-il à la fin ? Pendant ce temps, combien de tes proches perdent la vie pour le bien de la communauté ? Pourquoi faudrait-il que toi, tu continues d’être surprotégée ? Tu le vis comment de n’être qu’un parasite ? Mal, j’espère.

Brûles donc ton énergie dans cette vaine entreprise. Tant qu’à te tromper, autant le faire jusqu’au bout, sans hésiter. L’avantage, c’est qu’ainsi, tu en oublieras peut-être de penser ? Que l’activité te fasse céder à des rêveries enfantines. Avoues, qu'à la fin, tu ne travailles que pour toi. Tu voudrais reproduire ce que fait cette IA ? La changer ? Mais c’est seulement pour qu’elle t’accorde plus d’attention, j’ai tort ? De tout ton cœur, tu voudrais être comprise. Qu’on t’écoute.

Encore faudrait-il pour cela que tu aies quelque chose à dire.