Aux détours d’une promenade réflexive dans nos quartiers, je surpris une conversation qui fit naître en moi le réflexe des déesses de sociabilité : la cachette en bordure d’un mur. Si dans un premier temps, la peur d’être prise à parti dans une conversation banale de pluie ou de beau temps qui m’angoissait me prit, je fus rapidement interpellée par deux mots clefs : « désert lunaire ». Une discussion qui mêlait les inquiétudes sur un environnement extérieur on ne peut plus mystérieux.
Mais dans les mystères se nichent l’excitation des nouvelles découvertes. Comme scientifique, j’y trouva l’obsession de la recherche pour une affaire qui soulignerait mon caractère dilettante. Dans l'histoire, une expédition allait être organisée conjointement avec les Trappers et ça ne se poussait pas au portillon côté Vigilantes pour faire bouger les lignes. Qu'à cela ne tienne, la scientifique en chef participerait et réunirait juste assez d'informations pour savoir qu'il était obligatoire d'emporter avec soi un masque spécial dont je découvris l’existence. Parce que c’était absolument nécessaire ? À se demander pourquoi. Un endroit irrespirable ? Mais alors, qu’est-ce qui faisait que l’air du masque devenait respirable ? Quels espèces de salamalecs rendaient cette prouesse possible ?
Curieuse, je déploya des trésors d’impatience en quête des réserves qui me permettraient de mettre la main sur ces technologies. Et lorsque je toucha au but, mon premier réflexe fut de sortir un tournevis pour tenter d’en comprendre le fonctionnement. Un tuyau. Un réservoir. À l’intérieur, cette matière gazeuse ésotérique. Difficilement, je trouva un moyen d’actionner le pompage. L’odeur serait-elle différente ? Au pschit, je grimaça. Mon impression première ?
– Mais que… de la javel ? Est-ce donc ça qui nous fait respirer sur la lune ? L’air de javel ? Mais… pourquoi ?!Abasourdie par cette découverte, je m’empressa de le noter sur mon calepin. Car une scientifique sérieuse se devait d’appliquer une méthode rigoureuse afin de faire avancer l’état de l’art. Satisfaite, je pris sur moi de tout remonter pour bifurquer sur la nouvelle étape : mais quelles richesses pouvaient se cacher dans ce lieu qui imposait l’emploi d’une telle technologie ? À n’en point douter, des trésors me permettant d’approcher d’un pas de ma compréhension de cette IA Carcosa.
Les étoiles plein les yeux, j’eus l’idée de génie d’aller chercher une carte, un sac de biscuits, une torche lumineuse, une boussole, un stylet de métal, un couteau à beurre ainsi qu’une pelle de jardin. Honteusement, je repris des idées de Target en matière d’exploration. Enfin, puisque je prenais l’initiative, la formule me revenait. Les profanes pouvaient appliquer quelques réalisations hasardeuses. Quant à moi, je discernais le grain de l’ivraie afin de standardiser le process.
Savante, je partis la fleur au fusil jusqu'au point de rendez-vous, excitée à l'idée des découvertes que je réaliserais sur place. Cependant, une fois venue la confrontation sur le terrain, autant dire que je déchanta. Pourquoi était-ce si pénible dehors ? Qu’est-ce que ça changeait avec le dedans ? En théorie, rien du tout. Pourtant, la pratique démentait ces réflexions. La pluie, ça mouillait. Et l’humidité dans les vêtements, c’était désagréable. Je m’en passerais bien. Cette remarque, je l’inscrivis dans mon carnet d’observations au cas où je l’oublierais.
Toujours est-il qu’à force de m’acharner dans ma marche, m’embrouiller cinq fois avec la boussole et craindre à un moment d’être perdue, je finis miraculeusement à destination. Enfin, à l'exception près que je n'y trouva pas les autres participants. Peut-être avaient-ils pris de l'avance ? Peu importe, normalement, ils avaient été informés de ma venue. Des détails de paperasse.
Sur place, je mis ce masque de javel qui me permettrait d’engager mes recherches. Un peu dérangeant comme sensation, mais en l’état, la distraction de la voûte étoilée captura l’entièreté de mon attention. Les prunelles étincelantes, je ne réalisa pas que déjà, j’avais marché plusieurs heures au milieu de cratères. Ce qui me sortit de ma contemplation béate, ce fut un filet lumineux dans le ciel. Incroyable. Était-ce l’œuvre de l’IA Carcosa ?
– Mais… comment ?!À cette interrogation, je me remémora les étincelles sur le circuit lorsque je plaçais mes tiges de métal à certains endroits. Ce ciel… était-ce alors une carte électronique gigantesque ? Et ces points lumineux, des leds ? Prodigieux.
– J’aimerais pouvoir démonter le ciel…Peut-être qu’au-delà des étincelles, je trouverais un cerveau. Et ce cerveau, au sujet de l’immensité de cet appareil, il ne pouvait être que celui de l’IA Carcosa. Levant la main aussi loin que je le pouvais, je réalisais que cette carte était bien trop haute pour moi. Aussi, le problème qui se posa fut de savoir comment je pouvais l’atteindre. La solution la plus vraisemblable qui m’apparut serait de chercher un point culminant. La raison qui me fit entreprendre de grimper péniblement sur un amoncellement de rochers. Seulement, quand bien même je me fendis en deux pour atteindre mon objectif… j’arriverais à la déception que ces leds demeuraient hors de ma portée.
– Il me faudrait une échelle…Plantée là dans un raisonnement profond, je remarqua tardivement des présences non loin, plus bas. Des personnes. Un tressaillement. Or, je me grattais alors le menton. Et dans un geste brusque, je fus prise d’une terrible réalisation. La javel ne sortait plus de son tuyau. Ce masque… l’avais-je mal remonté ?
– Ghgheuh...Ghgaugh...Paniquée, j’essayais de taper sur le masque pour faire revenir cet air qui me tenait en vie. Et dans mon élan, je sentis ma vision se brouiller, mes mouvements vaciller, le sol se dérober. Je tombais. Heureusement, je n’étais pas montée très haut. Mais tout de même, suffisamment pour arriver par terre, sonnée. Pendant un temps, l’on put croire que j’étais évanouie. Je n’étais alors que groggy, le souffle lent… lent… Du souffle ? Mais…
– Haaaaaaa…Une profonde inspiration en me redressant, les prunelles écarquillées. Sous le choc, le masque s’était remis à fonctionner. Miracle ! Ou plutôt… le signe que j’avais parfaitement remonté cet appareil qui s’était juste révélé défectueux.
– Je le savais… j’aurais pas dû faire confiance à ce crache-javel… Un flottement. Des silhouettes. Le glissement de mes yeux vers les pieds, les genoux, le buste, la tête. Deux personnes. Et avec ma tête de chèvre penaude, l’écho de mes dernières pensées désincarnées.
– Javel…Une chance sur deux, c'était ceux que j'aurais dû normalement trouver au point de rendez-vous.